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Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/273

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qu’avec le Producteur, enfin fondé, et par l’Exposition de la Doctrine saint-simonienne, les théories précises, plus nettement mises en relief, finissaient par gagner quelques esprits.

Envisagée dans son ensemble, la société est décrétée d’incohérence et d’anarchie. Elle donne asile à la pire misère et à la plus dégradante « l’exploitation de l’homme par l’homme ». Partout cette exploitation se retrouve, dans tous les rapports des hommes, et le travail humain, chargé d’une prime, dont le nom change mais dont le profit enrichit les oisifs, réclame sa part. Comment, disent les disciples, faire avec cette incohérence qui jette les uns sur les autres pour les meurtrir, des hommes qui se devraient embrasser dans une association fraternelle. Il faut découvrir et abattre la base inique sur laquelle l’exploitation repose. Et quelle est-elle ? Elle est la propriété et sa transmission héréditaire dans les familles.

D’ailleurs, cette propriété est destinée à périr de ses propres coups : cette prime, appelée loyer ou fermage, cette prime dont elle frappe comme d’un impôt le travail, diminue peu à peu et pourra se réduire au minimum, tomber au néant. Ici, la critique des disciples saint-simoniens est fausse.

L’intérêt, le loyer, le fermage, en un mot, le profit, tomberont certes par degré, sous l’action de la concurrence, sous l’afflux des capitaux, mais il n’y aura pas de jour où les capitaux seront improductifs ; l’essence de la propriété capitaliste est le profit et le logement gratuit ou le crédit gratuit restent des chimères. Sans compter que les regards de ceux qui entrevoyaient ces merveilles n’embrassaient qu’un trop étroit champ d’action. Le monde était plus vaste encore de leur temps que du nôtre et la société capitaliste, quand le profit lui manque sur les vieilles terres témoins de ses prodigieuses conquêtes, s’expatrie, se répand au dehors, toujours en quête de nouveaux débouchés.

Mais, cette réserve faite, le principe par eux affirmé demeure, qui est l’iniquité blessante pour tant d’hommes, privés de la propriété, c’est-à-dire de la vie, de la liberté vraie, du bonheur. Mais pour restaurer la justice, une révolution était nécessaire, c’est-à-dire une transformation totale de la société et non une série de mesures. Par là encore l’école saint-simonienne se rattache au socialisme. L’application serait aisée : il faudrait, selon le besoin des localités, et par branche de travail, remettre aux hommes les instruments de travail.

Cependant comment sera accompli ce grand labeur ? Il ne demande pas que des bras, mais aussi des cerveaux, et des consciences. Il faut que l’homme soit meilleur, que l’humanité s’élève à la solidarité, à la fraternité. Comment pourra-t-elle y parvenir, si, dans l’instant où les revendications des malheureux apparaissent, l’esprit général n’est pas gagné par l’éducation ? C’est la partie morale du plan de saint-simonisme. Ce n’est pas la partie la moins haute, ni la moins utile. Elle vient compléter la