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Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/36

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cette époque de duperies mutuelles et de volontaires équivoques, avait été Talleyrand. Mais ce n’était pas tout : il fallait remplir la vacance laissée par ce vote et instituer, sur les ruines d’une dynastie, un autre gouvernement. Il fallait prévenir l’opinion, et peut-être la conquérir, par une déclaration qui portât devant elle toute la signification de ces changements profonds. En un mot, il fallait comme toujours, dans l’histoire des hommes, proclamer le droit après avoir obéi au fait, et fonder sur la force une légalité. Une commission fut chargée de rédiger cet acte important, qui prend dans l’histoire le nom de Déclaration du 9 avril. Cette commission était composée de M. de Talleyrand, duc de Dalberg, général Beurnonville, comte de Jaucourt, abbé Montesquiou, membres du gouvernement provisoire, et en plus de MM. Barbé-Marbois, Destutt de Tracy, Eymery, Lambrecht, Lebrun, duc de Plaisance. Un étranger, le secrétaire d’État russe, M. de Nesselrode, venait compléter étrangement cette commission, et surveiller au milieu d’elle l’exécution de la volonté des alliés.

Tout de suite, dès le premier jour, eut lieu la première rencontre entre l’ancien régime ressuscité et l’ordre nouveau créé par la Révolution. L’initiative hardie de l’avocat Bellart, pour la première fois jetant le nom des Bourbons dans le public, la morne indifférence de la France défaillante sous tant de catastrophes, tout cela avait mis en honneur les princes. Le 3 avril, la main de Lambrecht traça le nom de François Xavier… Mais qui allait l’investir ? — Le peuple français le doit choisir librement, disait la majorité de la commission. — Un roi, répliquait Montesquiou, le seul royaliste, est investi par Dieu. Qu’est-ce que ces sujets qui se révoltent ? Où sont vos mandats ? — La seule réponse eût été que ces mandats dévolus par Napoléon étaient frappés de caducité, puisque Napoléon était abattu. La logique virulente de Montesquiou embarrassait les commissaires. C’était le premier conflit entre le droit divin et le fait révolutionnaire. C’était la première annonce des désordres longtemps contenus et qui éclateront peu à peu pendant toute la Restauration jusqu’au jour où la Restauration elle-même sombrera dans son impossible tentative… Mais le temps pressait. Précisément les soldats répandus autour de Paris et dont les regards se tournaient vers Napoléon, captif à Fontainebleau de sa seule inertie, la possibilité d’une terrible revanche, toutes ces rumeurs, à dessein grossies par Talleyrand, permirent de presser la solution. Il fallait en finir. La transaction vint, une fois de plus, après l’épuisement de la hautaine logique, adoucir les intransigeances. Montesquiou accepta la formule par laquelle « au nom du peuple français, le trône était librement offert » à Louis XVIII. Et de plus les sénateurs, se taillant dans la constitution une part personnelle, faisaient fixer à un maximum de deux cents sénateurs la composition du Sénat, se déclaraient maintenus, par l’acte lui-même, et, enfin, obtenant la réalisation de leur rêve, créaient l’hérédité sénatoriale calquée sur cette hérédité