Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/38

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le fit enfermer. En 1817, il fut jugé et condamné par la cour de Douai, par contumace, non sans avoir partout proclamé que Talleyrand lui avait donné l’ordre de tuer Napoléon. Talleyrand a nié. Entre ces deux versions, et surtout entre les deux hommes, l’histoire hésite faute d’autres témoignages, ne peut faire un choix.

Pendant ce temps, le comte d’Artois attendait à Nancy. Enfin, le 4 avril, par l’intermédiaire du fidèle Vitroles, Talleyrand l’appelle. Il se met en route, comble de promesses les chemins qu’il parcourt « dans une haie de cocardes blanches », dit-il, et donne surtout l’assurance, afin de ravir la popularité qui se dérobe, de l’abolition de la conscription et des droits réunis — double fardeau qui pèse aux épaules du peuple. Il arrive. La difficulté de sa situation politique apparaît alors à tous. Comment le traiter ? Comment le nommer ? Quel titre lui offrir ? La réception fut triomphale. Toute l’émigration chevauchait à ses côtés, dissimulant mal, derrière elle, la robuste prestance de quelques maréchaux. Oudinot, Ney, Mortier, empressés à servir le maître nouveau. Une rougeur envahit le visage du comte d’Artois à la vue des cocardes tricolores dont, par un reste d’habitude, restait parée la servilité maladroite des officiers de Napoléon. Talleyrand prononça un vague discours où il mit son souci à ne pas qualifier le nouveau venu. Celui-ci balbutia quelques paroles sans portée, mais qui, le lendemain, au Moniteur, se transformèrent en paroles célèbres : « Il n’y a rien de changé en France : il n’y a qu’un Français de plus ». Et puis il entra aux Tuileries, sans qu’aucune émotion, au moins apparente, vint s’offrir aux familiers, chez cet homme, revenant, pour la première fois, sous des arcs de triomphe, dans le palais qui avait été, pour son frère, l’antichambre épouvantée de la mort.

Mais ni le bruit des fanfares, ni le tumulte concerté des acclamations ne résolvaient la question. Quel titre aurait le nouveau venu ? L’entêtement légendaire des Bourbons, ici encore, ne voulant pas céder, la lieutenance générale offerte fut d’abord refusée. Mais la révolte fut courte, et, de toutes parts averti, le comte d’Artois faiblit. Il accepta, des mains du Sénat, ce titre, la veille refusé. Il alla même jusqu’à le remercier par une déclaration, où la double ingéniosité de Talleyrand et de Fouché avait jeté de diplomatiques formules. Ce fut la déclaration du 14 avril. Le lendemain, le comte d’Artois recevait le Sénat et la Chambre. Son désappointement se marqua dans les paroles qu’il adressa à la Chambre, et où, pour la distinguer du Sénat dont la résistance avait réduit sa propre répugnance, il appela ses membres « les véritables représentants » de la nation. Le 16 avril, au nom de son frère, encore retenu en Angleterre, le comte d’Artois prenait en main le pouvoir.

Cet intérim ne devait durer que peu de jours. Mais il fut rempli par les fautes les plus impopulaires. Le chef provisoire inaugura son gouvernement en déléguant en province, sous le prétexte de veiller à l’exécution des mesures prises, les royalistes les plus outranciers. Leur présence, surtout dans