Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/42

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touchante » et quand « il était assis, sa canne entre ses jambes pareil à Louis XIV à cinquante ans ». Ni physiquement, ni au moral, le portrait ne ressemblait. Fils du Dauphin, petit-fils de Louis XV, Louis-Stanislas-Xavier avait reçu de sa mère, princesse de Saxe, du sang allemand que n’avait pas régénéré dans ses veines la sève épuisée d’une race flétrie par les vices. Toute sa jeunesse fut alourdie du patronage direct du duc de Laguyon, son précepteur, et son adolescence dissipée, comme il seyait à un frère du roi. On lui a fait un renom de libéralisme et on a écrit qu’à la cour de son frère Louis XVI il avait représenté l’élément nouveau : en fait il est exact qu’il plaisait au peuple, qu’il prit parti contre tous les princes du sang, quand se posa la question du doublement du tiers, et que chargé par le roi d’aller apporter le compte au bureau, il fut acclamé là où le comte d’Artois était obligé de se faire protéger. Mais ce n’était pas là un vrai libéralisme : ce n’était que l’esprit de fronde, assez fréquent, sur les marches du trône chez les princes du sang qui visent à l’originalité et, ne pouvant porter la couronne du pouvoir recherchent les lauriers de la popularité. En fait aussi, il s’associa contre les ministres à toutes les intrigues, combattit même par des brochures anonymes, mais qu’on lui peut justement attribuer, Turgot, et ensuite, par les mêmes armes, Necker, Loménie de Brienne, Calonne. Protégé par ses apparences libérales contre les premières colères de la Révolution naissante, il ne partit que le dernier vers l’émigration : il séjourna à Gand. Alors, loin de la Révolution, il lui montra un autre visage, le vrai visage, celui où le mépris altier et la haine aveugle s’inscrivent. Il prit part à tous les complots, provoqua avec le comte d’Artois la coalition de Pilnitz, dirigea vers la France ces bataillons ennemis que le canon de Valmy dispersa. Après l’exécution de Louis XVI, dont il avait compromis le règne et précipité la chute, qu’il avait laissé, seul, en proie aux menaces de mort, il se proclama régent et, après le décès de Louis XVII au Temple, se proclama roi sous le nom de Louis XVIII[1] Pendant des années il erre sur

  1. On comprendra que nous ne puissions examiner par le menu la question de savoir si Louis XVII, fils de Louis XVI, est bien mort au Temple, le 8 juin 1795, ou s’il s’est échappé. En fait, divers personnages, dont on peut dire qu’ils furent des aventuriers, attirèrent sur eux l’attention en invoquant le titre de dauphin, une ressemblance plus ou moins frappante avec l’enfant mort au Temple des suites de l’emprisonnement et non les traitements mauvais que la légende attribue à la férocité prétendue de Simon. Ce furent Marie Harvagaout, de Saint-Lô, en 1804, Mathurin Bruneau, Richemont, Eleazar William, et le plus célèbre de tous, Naundorff et ses enfants.
    Ces impostures reposent sur des faits qui semblent acquis, et qui d’ailleurs sont faussement interprétés. 1o On rappelle que Simon et sa femme, furent soustraits à la garde du dauphin, et le renouvellement quotidien des soldats chargés de le surveiller. Mais ces mesures étaient prises précisément pour éviter une fuite, ou une substitution, pour déjouer un complot toujours possible. 2o On rappelle que la femme de Simon parla, aux Incurables, où elle était retirée, de la substitution. Interrogée (elle mourut en 1819) elle ne put rien préciser. 3o La sœur du dauphin a vu, par le trou de la serrure, après avoir entendu du bruit, plusieurs paquets déménagés de la chambre du dauphin. Elle a certainement aperçu des visiteurs et perçu un grand bruit : ces visiteurs n’étaient autres que les médecins et les commissaires de la Convention chargés d’une mission de contrôle.
    Ce qui, d’ailleurs, rend impossible toute cette aventure, c’est d’abord le nombre des personnages qui ont invoqué leur parenté avec Louis XVIII. De plus, on n’a jamais répondu à une question : si le dauphin a échappé en 1795 et qu’on lui ait substitué un enfant scrofuleux et muet, il est bien extraordinaire qu’aussitôt hors de France, cet enfant qui avait dix ans n’ait pas manifesté tout de suite son existence. Or, non seulement il ne dira rien à ce moment, non seulement il ne se rapprochera pas de ses oncles et de sa sœur quand elle sera échangée contre le général Beurnonville, mais il gardera cette attitude jusqu’en 1804. C’est à cette époque, en effet, que la première revendication de son titre a eu lieu. Comment expliquer ce silence et cette inertie ?
    A-t-il été séquestré de 1795 à 1804 ? Par qui ? Où cela ? Dans quel intérêt ? Et, surtout pourquoi l’aurait-il été dans son adolescence, et pas du tout à l’époque de sa jeunesse ? Jules Favre, qui, deux fois, a prêté le prestige de sa parole aux descendants de Naundorff, plaidant devant la cour de Paris, a dit que le père de son client avait été emprisonné, puis relâché — ce qui prouve, disait-il, qu’il était de royale extraction et qu’on n’avait pas osé porter la main sur sa tête. — Mais pourquoi, dès lors, porter la main sur sa liberté ? Et qui ne voit que, au contraire, ceux qui auraient eu un intérêt assez puissant pour emprisonner le jeune dauphin, auraient eu intérêt à celer davantage et plus longtemps sa personne et même à la supprimer ; le crime eût été plus atroce, mais pas plus grand, en tous cas plus utile que cette dure séquestration. Quant à l’entrevue entre la duchesse d’Angoulême (sœur du dauphin) avec Naundorff en 1820, et à l’évanouissement de la princesse, le fait ne prouve rien ; il est très compréhensible que, frappée par une ressemblance qui ravivait ses souvenirs douloureux, la princesse ait faibli un moment, et cet évanouissement n’est pas une preuve.
    En résumé, la légende de cette évasion ne résiste pas à cette double question : si l’on a arraché le dauphin à sa prison, c’est évidemment pour le hisser à la royauté, et pourquoi ne l’a-t-on pas fait ? Si on l’a arraché au Temple pour lui supprimer ensuite ses droits, on ne comprend pas pourquoi on a pris tant de peine pour le sauver. Diverses condamnations furent prononcées contre les faux dauphins.