Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/57

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le duc d’Angoulème résista plus longtemps.

Il remonta de Marseille à Montélimart qu’il emporta. Mais, entouré par Gilly et Grouchy, il dut se rendre et fut remis en liberté aux frontières sur l’ordre de Napoléon qui portait déjà le poids du cadavre du duc d’Enghien. De Vitrolles, maître de Toulouse, fut arrêté et emprisonné à Paris.

Dans le palais déserté le 20 mars au soir, Napoléon pénétra. Les acclamations, moins nourries cependant qu’il ne l’avait pensé, l’accueillirent comme tout vainqueur, et à bras d’hommes il fut transporté dans les salles resplendissantes où, les lèvres flétries par tant de serments contradictoires, fonctionnaires et courtisans l’attendaient. Il avait réussi dans cette entreprise fabuleuse et montré une fois de plus que l’audace violente la fortune. Mais son regard, moins hautain, aussi perspicace, apercevait la vérité. Un mot, profond et triste, lui vint : « Ils m’ont laissé venir comme ils les ont laissés partir ». En effet, l’indifférence, ou plutôt la peur, dont l’indifférence est le masque obligé, était bien le sentiment d’une partie de la nation. L’armée, certes, depuis les soldats jusqu’aux simples généraux, lui était comme un marchepied vivant pour une gloire nouvelle. Les mécontents, les aigris, tous ceux qu’un régime, quel qu’il soit, irrite, l’appelaient, mais il est injuste de dire que toute la nation se précipita vers lui : au contraire, l’élite légale de la nation lui était hostile. La plupart de ses anciens maréchaux, qui avaient le désir de savourer dans la paix les jouissances à peine goûtées, avaient rejoint Louis XVIII.

Des fonctionnaires, des magistrats résistaient.

Le reste se taisait et les clameurs de la soldatesque ne pouvaient être, même pour une oreille pervertie par la musique des louanges, le cri unanime d’une nation.

Napoléon ne s’y trompa pas. C’est une justice que de reconnaître d’ailleurs qu’il accomplit tout ce qu’il fallait pour essayer de rassurer autour de lui l’Europe et la nation. Quelle différence avec les Bourbons ! Ceux-là étaient revenus chargés de haines et de tristes souvenirs ! Napoléon, dès les frontières du Dauphiné, au rude contact d’une population qui lui parlait de « droits », d’« égalité », de « liberté », avait tout compris. Dès cette première rencontre, il se mit au même niveau et il parla un langage consulaire plus qu’un langage impérial. Il continua à Paris. « Nous avons tous fait des sottises », aimait-il à répéter. Et il appelait Benjamin Constant, en dépit d’un violent et récent article où celui-ci lui déclarait la guerre, pour lui confier le soin de rédiger une Constitution. « Je veux surtout la liberté de la presse : on ne peut pas étouffer la pensée. » La Constitution fut rédigée : elle accordait à la nation à peu près les garanties que la Charte lui avait promises et, sur ce point, la nation pouvait être rassurée. En en entendant la lecture, Napoléon dut quelquefois se contenir. Il ne fit que deux objections : la Constitution, dans l’esprit de Benjamin Constant, inaugurait une ère nouvelle et elle ne