Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/58

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mentionnait pas l’Empire. Napoléon ne voulut pas rougir d’un passé qui était le sien et à juste titre, car comment Benjamin Constant pouvait-il s’imaginer qu’un trait de plume suffirait pour effacer l’histoire ? De là le nom d’acte additionnel aux Constitutions de l’Empire que prit la Constitution. Napoléon voulut garder le droit à la confiscation sur les émigrés. C’était, disait-il, sa seule arme contre des ennemis irréductibles.

L’acte additionnel fut mis aux voix dans le pays et recueillit 1 557 159 voix, sur lesquelles l’armée de terre et la marine comptaient pour 250 000 voix. Il n’y eut que 4 206 non. Comme tous les plébiscites, celui-ci ne pouvait apporter aux pieds de l’empereur la vérité. Ces consultations où celui dont le sort est en jeu tient les urnes et où on se doute bien qu’en cas d’échec il résistera par la force, ne valent que comme des caricatures du suffrage universel.

Et puis la nation ne crut pas, ne put croire à ces promesses. C’est que la bouche qui les balbutiait avait trop souvent donné des ordres pour meurtrir la liberté. Napoléon fut-il sincère à cette heure ? Il est permis d’en douter. Il était faible. Son étoile avait pâli, subi une éclipse, et il redoutait pour elle une totale obscurité. Il avait été vaincu : donc, il pouvait l’être. Et, fin politique, il essayait de ruiner momentanément les causes de sa défaite, de montrer qu’il n’était plus le même homme à une nation qui, elle aussi, débarrassée pendant un an de sa lourde tutelle, n’était plus la même.

Il s’aperçut vite de la défiance qu’il causait dès l’élection et la réunion des Chambres. On élut président Lanjuinais, et parmi les vice-présidents La Fayette. Ces choix lui étaient sensibles. Il ne parut pas affecté, parut à la réunion des députés, lut son discours où il prenait à témoin ses sentiments nouveaux, en appelait à la paix, se déclarait obligé de lutter contre la coalition qu’il n’avait pas provoquée, offrait non plus le masque dur et provocant du guerrier, mais le profil du monarque constitutionnel. Il dut sentir que toutes ces avances où se pliait son génie indompté étaient inutiles. Il l’avait même senti avant de se venir heurter au froid contact de la représentation. C’est pour cela, et en prévision de cela, qu’il avait organisé la réunion du Champ de Mai. Là, sur une estrade, il vit défiler tous les soldats. Entouré d’éclatants uniformes, il jura, sur l’Évangile, fidélité à la Constitution, et puis, debout sur une sorte de trône élevé, il savoura les acclamations de toute l’armée, contempla, confondues avec l’horizon, des têtes et encore des têtes dont les mille regards cherchaient le sien. Dernière et théâtrale journée de triomphe ! Ce n’était pas d’ailleurs uniquement pour se montrer que l’empereur avait organisé cette parade. C’était pour dresser l’armée contre la représentation, qu’il sentait hostile, la nation militaire contre la nation légale. Certes, la nation n’était pas avec Napoléon, mais elle était bien peu avec la Chambre, dont le système d’élection faisait une réunion étroite, égoïste, glacée, minorité infime dans cette France, où le peuple