Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/92

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Cependant, l’ordonnance du 24 juillet, mettant en accusation cinquante-cinq des plus hauts personnages de l’armée et de l’administration impériale, avait jeté partout un naturel émoi. En même temps que les personnes désignées se soustrayaient par la fuite ou dans une retraite aux investigations de la police, la démagogie royaliste reprenait une audace qui allait éclater par mille coups. Il est vrai que la colère était grande qu’avait soulevée l’entreprise vaincue, la rancune inexorable et le souvenir vivant des provocations meurtrières que, pendant les Cent-Jours, les partisans de l’empereur avaient adressées aux partisans de la légitimité. Notamment dans la Provence et dans le midi, de Toulon à Bordeaux, la fureur, trop longtemps contenue au gré des royalistes, éclata. À Marseille, avant même l’ordonnance, vers la fin de juin, quand on apprit le désastre de Waterloo, après une rixe qui semblait devoir se terminer sans amener de trop violentes commotions, un coup de feu tua un jeune homme : immédiatement, les royalistes se rassemblent, se concertent, s’ébranlent. On pille les armuriers, on pille les boutiques, on met à mort plusieurs agents de l’autorité, on massacre une inoffensive colonie égyptienne ramenée par Bonaparte d’Égypte. Pendant ce temps, le général Verdier perd son sang-froid et, au lieu de ramener le calme par sa présence, évacue la ville avec ses troupes et va à Toulon.

À Toulon, le maréchal Brune commandait. Longtemps, à force de présence d’esprit, il avait tenu la ville dans la tranquillité et avait déjoué le plan des royalistes qui méditaient de livrer une seconde fois Toulon aux Anglais. En fait, sous le commandement de lord Exmouth, la flotte anglaise baignait dans les eaux françaises, prête à profiter une fois encore de la trahison. Lorsque le roi Louis XVIII fut proclamé à nouveau et dès que, dans la fin de juillet, Brune l’apprit, il dut céder le commandement au représentant du roi et, pour son malheur, désira aller à Paris s’expliquer sur la dénonciation dont il était l’objet. Il pensa gagner Paris en passant par le Piémont pour tourner les passions furieuses qu’il s’attendait à rencontrer : il lui fallait pour cela, par la voie de la mer, descendre sur la côte piémontaise. Mais lord Exmouth, à sa demande, répondit par des outrages et force fut à Brune de partir par la voie de terre. À Aix, il fut reconnu et injurié : il pouvait prendre la route de Grenoble et cheminer parmi des populations paisibles ; mais, pressé, il écarta la requête de son aide de camp et arriva à Avignon. Là aussi il fut reconnu. Il voulut tout de suite quitter l’hôtel et abandonner une ville où des rumeurs de meurtre commençaient à se faire entendre. À la barrière, un sieur Verger, sous prétexte que ses papiers ne sont pas en règle, le retient et, quand le maire a donné l’ordre, il est trop tard. La foule, irritée, soulevée, entoure sa voiture, le ramène à l’hôtel et déjà les cris de mort lui annoncent son destin. Comme pour ajouter à la fureur, le bruit mensonger circule que Brune fut de ceux qui tuèrent la princesse de Lamballe. La porte de l’hôtel se referme sur lui. Mais quinze