Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/93

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cents assaillants, armés, se pressent et veulent pénétrer par la force. Le préfet, M. de Saint-Chamons, est renversé, le commandant de la garde nationale écarté. Cependant, la garde nationale repousse l’assaut ; la foule se retire, il semble que la nuit va calmer cette fureur surhumaine. Soudain, des cris de triomphe retentissent ; par la maison voisine, des malfaiteurs ont escaladé l’hôtel, ils ont pénétré dans la chambre de Brune qui écrivait. Celui-ci se lève. Manqué par le premier coup, il est foudroyé par le second. On entoure les assassins, on les félicite. Quelques heures après, l’enterrement a lieu. Arrivé sur un pont, le cercueil est arraché aux porteurs, jeté au Rhône et, sur le corps sanglant, des coups de fusil sont tirés. Le fleuve emporte dans ses eaux rapides le funèbre dépôt : des mains pieuses vont le recueillir, mais les assassins acharnés surviennent qui refoulent dans le fleuve ce pauvre corps sans abri. Ce n’est que dix-huit lieues plus loin que la terre enfin se fit hospitalière à cette dépouille…

À Nîmes, les passions furent plus criminelles encore : le pillage, le vol, le meurtre furent les instruments de règne du royalisme provençal. C’est là que s’illustra Trestaillons, que s’illustrèrent ses complices Servan et Trupheny. Un jour, ils envahissent un temple pendant la cérémonie et les pires violences se déchaînent contre des femmes et des enfants. Un autre jour, ils envahissent les demeures, égorgent les propriétaires, et Trestaillons s’installe à leur place, le crime lui tenant lieu de titre de propriété. Dans une échauffourée, on tire à bout portant sur le général Laborde, grièvement blessé. En vain le duc d’Angoulême veut calmer la ville. Dès son départ, les fureurs à nouveau s’allument. En vain on veut poursuivre Trestaillons : aucun témoin n’ose déposer contre lui et la justice, terrifiée, le restitue à la liberté du meurtre. À Uzès, avec la complicité du sous-préfet, un sieur Valubeix, le carnage s’installe triomphant sur la place publique. Un sieur Graffan, sachant qu’il y a des prisonniers accusés d’avoir crié : « Vive l’empereur ! », se rend à la geôle, oblige, sur un ordre verbal du sous-préfet, le gardien à lui livrer six malheureux que l’on fusille en plein jour. Le même Graffan, à la tête de sa bande, sort de la ville et renouvelle ses exploits à Saint-Maurice, par ordre du sous-préfet.

À Toulouse, enfin, la folie du crime touche au paroxysme. Le général Ramel, condamné comme complice de Pichegru, commandait la ville : il avait eu l’audace d’y vouloir établir l’ordre et de sévir. De ce jour sa mort fut jurée et publiquement les préparatifs s’apprêtèrent. Au soir, il fut prévenu que sa demeure était entourée d’une foule menaçante. Le maréchal Pérignon et le maire, Joseph de Villèle, avertis aussi, négligèrent, et pour cause, de prendre des mesures, et livrèrent ainsi, par la plus lâche complicité, la victime. Ramel arrive chez lui, défendu par un seul soldat qui, devant sa porte, le couvre de son corps. Ce soldat tombe. Une immense clameur emplit la place : on accuse Ramel de l’avoir tué par derrière. On fond sur lui, on le