Page:Jaurès - Histoire socialiste, VII.djvu/96

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l’armée de la Loire dès la publication de l’ordonnance du 24 juillet qui le visait personnellement. Mais, attiré à Paris par sa jeune femme âgée de dix-neuf ans et qui allait accoucher, il y fut vu, dénoncé et pris. Il avait entraîné vers l’empereur son régiment, à Grenoble : il détermina ainsi plus vivement la prise de la ville. Il avait été à Waterloo, puis, après le désastre, soutenu à la Chambre des Pairs la fortune déchue de Napoléon en couvrant Ney d’invectives ; il fut fusillé dans la plaine de Grenelle. Louis XVIII ne voulut — ou ne put — faire grâce.

Et puis, ce fut le tour du maréchal Ney, car, par un ironique et triste destin, les deux soldats qui s’étaient si violemment heurtés à la Chambre des Pairs devaient mourir les premiers, victimes de leur attachement à l’empereur. Il ne semble pas que le roi Louis XVIII ait voulu la mort de Ney et, en fait, la promulgation d’une ordonnance annonçant des arrestations était une suffisante incitation à la fuite. Drouet d’Erlon et Grouchy, pour ne parler que d’eux, eurent le temps de s’expatrier, l’un à Munich, l’autre en Amérique. Ney voulut fuir ; mais à la frontière suisse il ne put user de son passeport et il revint dans la Loire. Las d’être l’hôte incommode d’un royaliste courageux, il alla dans le Lot, chez un parent. Il fut dénoncé par son sabre, un sabre turc resplendissant de richesses que Napoléon lui avait donné à son mariage et qu’il laissa traîner et qu’on reconnut ; entouré de gendarmes, il se livra, et d’autant plus vite qu’il était révolté par une accusation dont il voulait faire justice, celle d’avoir touché du roi 300 000 francs, au moment même où il allait trahir sa parole… Il promit de ne pas s’enfuir et, en route, dut le regretter, car il traversa l’armée de la Loire et ne put profiter de l’évasion qu’Exelmans avait pour lui préparée…

L’accusation dirigée contre Ney était d’avoir violé son serment, rejoint l’empereur, amené à « l’usurpateur » son corps d’armée, rendu plus facile le détrônement du roi… Il comparut devant un conseil de guerre, recruté à grand’peine, car Moncey, chargé de la présidence, s’était refusé à cette besogne de sang contre un camarade et avait perdu, dans sa protestation, son titre, sa pension, sa liberté. Le conseil, présidé par Jourdan avec Masséna comme premier assesseur, avec Augereau et Mortier, se réunit le 10 novembre ; la salle était comble et offrait aux premiers rangs l’éclatante exhibition de toute l’aristocratie féminine qui venait voir comment la bête redoutable serait forcée. À la grande surprise de tous, Ney récusa la compétence du conseil, invoquant, pour être jugé par la Chambre des Pairs, son titre de pair. Nous ne concevons pas, à distance, cet étonnement. Il est impossible que les avocats du maréchal, Berryer père, Berryer fils et Dupin, n’aient pas, avant d’agir, discuté entre eux cette périlleuse procédure. Ils ont eu leurs raisons : on a dit que Ney aurait échappé à la mort. On a pu le penser sur le moment même, mais non après l’arrêt de la Chambre des Pairs, où les plus acharnés furent les maréchaux, entre autres