Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/121

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conseillaient ouvertement. On ne pouvait mieux seconder la politique rétrograde de Louis-Philippe, ni la mieux identifier avec l’intérêt de la France.

Il faut insister sur cette attitude de la presse républicaine de 1830, qu’elle gardera pendant tout le régime de Louis-Philippe. Elle nous montre comment, sous l’impression des guerres napoléoniennes, le sentiment du droit des nationalités s’était fondu avec le sentiment de la liberté, puis avait disparu dans le haïssable sentiment de ce que la France devait à sa gloire. C’est là l’origine d’une tradition qui ne se conservera que trop bien dans le radicalisme français. C’est cette tradition qui frappera de paralysie partielle le parti républicain en 1898 lorsque le parti clérical s’affublera du masque patriotique, c’est elle qui fournira au nationalisme dirigé par les conservateurs son contingent de républicains abusés et dévoyés.

Les gouvernements de la Sainte-Alliance tenaient la France pour responsable de l’agitation qui s’était ainsi étendue à toute l’Europe. À défaut de tout autre encouragement, il est certain que son exemple eût suffi à les y entraîner. « Dès le premier jour, note M. Thureau-Dangin, M. de Metternich avait pressenti que la révolution éclatée en France aurait son contre-coup en Italie, et ses regards s’étaient tournés avec anxiété de ce côté. » Entre la politique que M. Thureau-Dangin approuve sans réserves, et celle qu’il reproche à Armand Carrel, à Lafayette et à Louis Blanc d’avoir préconisée, entre la paix à tout prix et la guerre au monde entier, entre la complicité avec l’absolutisme aux répressions féroces et l’intervention armée dans les affaires de tous les peuples, il y avait une troisième solution, vers laquelle penchait le cœur des libéraux, Laffitte en tête. Mais celui-ci avait le cœur aussi faible que l’esprit léger. Il n’était pas de force à tenir tête au rusé et tenace Louis-Philippe, et celui-ci se servit des velléités de son ministre pour se faire un mérite auprès des cours de les avoir contrecarrées et rentrer ainsi en grâce auprès d’elles.

La renonciation de la France à toute prétention sur la Belgique et à toute ingérence au Portugal suffisait à lui assurer la neutralité bienveillante de l’Angleterre ; la proclamation très nette du droit des nationalités rassurait la Prusse sur notre prétendue revendication de la rive gauche du Rhin et permettait au libéralisme allemand de prendre son mot d’ordre à Paris sans revêtir même les apparences d’une défection au sentiment patriotique ; une attitude défensive résolue et proclamant bien haut le dessein de ne pas plus laisser un soldat français mettre le pied hors de nos frontières qu’à y laisser pénétrer un soldat étranger, eût donné une force immense aux insurrections nationales et libérales, tout en étant tout prétexte à l’absolutisme pour nouer une coalition européenne contre nous. De plus cette attitude l’eût paralysé dans la lutte contre les peuples en révolution. L’imprudence des républicains, et surtout le conservatisme de Louis-Philippe, ne permirent pas à la France de jouer ce grand rôle d’initiative par l’exemple, après avoir tenté vainement de le jouer par les armes. La réaction triompha partout, en Europe comme en France, et il devait appartenir au socialisme de