Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/122

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reprendre la grande mission abandonnée par le parti républicain sous l’influence funeste de la gloire napoléonienne.

Ballotté par les événements, rendu impopulaire par la répression des émeutes, sans appui sérieux dans les Chambres, amusé et abusé par les caresses de Louis-Philippe, Laffitte n’avait plus que les apparences d’un pouvoir dont il n’avait rien su faire. Le roi avait pris enfin la résolution de le remplacer par Casimir Perier, et celui-ci, estimant le moment venu, avait accepté. « Je ne puis plus garder M. Laffitte, disait le roi à Dupin aîné, qui le rapporte dans ses Mémoires. Il ménage le parti qui cause tous mes embarras et auquel il est bien temps de résister. D’ailleurs, on me dit que le Trésor est à sec. » Précisément Casimir Perier venait de décider le baron Louis à accepter le portefeuille des finances, et cette acceptation avait même fait cesser les hésitations du chef de la résistance.

Les affaires personnelles de Laffitte étaient en aussi mauvais état que celles de la France, et cela augmentait son discrédit politique. Ceux-là mêmes au profit des intérêts politiques desquels il avait négligé les siens propres, accusaient l’imprudent financier. Dans un monde où l’argent était tout, la pire déchéance était d’en perdre dans une profession qui est d’en gagner. La mise en liquidation de sa maison de banque lui porta le dernier coup.

C’était le moment où l’Autriche venait d’annoncer au cabinet du Palais-Royal sa décision d’intervenir à Modène et dans les légations, et d’y anéantir les pouvoirs révolutionnaires qui s’étaient constitués. À cette note, le conseil avait répondu que l’entrée des troupes autrichiennes dans les États romains serait considéré comme une violation du principe de non-intervention que la France ne pourrait tolérer. Se croyant soutenu, ses collègues du ministère ayant été unanimement de son avis pour la rédaction de la note adressée à l’Autriche, Laffitte fut stupéfait en lisant le 8 mars dans le National la réponse du cabinet de Vienne, que le maréchal Sébastiani, son ministre des Affaires étrangères, instrument passif de la politique de Louis-Philippe, avait reçue le 4. Cette réponse, transmise par notre ambassadeur, le maréchal Maison, était hautaine et agressive. Thiers, qui était, on le sait, sous-secrétaire d’État à l’intérieur, fit comprendre à Laffitte qu’un président du conseil qu’on jouait ainsi n’avait plus qu’à se retirer. Sébastiani, interrogé par celui-ci sur le silence qu’il avait gardé à son égard sur la dépêche de Vienne, ne lui donna, selon sa consigne et selon son caractère, que des explications embarrassées. Le roi, qu’il alla voir incontinent, le calma par d’amicales paroles, se garda bien de laisser percer la résolution arrêtée ; et, dit M. Thureau-Dangin, « le ministre le quitta plus rempli que jamais d’espérance, plus sûr d’avoir l’avenir à lui ».

Il allait donc falloir pousser dehors par les épaules l’inclairvoyant ministre. C’était le seul moyen d’apaiser Metternich et de lui permettre l’invasion des légations. Le 13 mars, le coup fut fait et Casimir Perier nommé président du conseil.