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l’ordre de maintenir l’arrestation du duc de Chartres (fils aîné du duc d’Orléans) opérée par la municipalité de Montrouge au moment où le jeune prince tentait d’entrer dans Paris. Cet ordre avait été rédigé par Pierre Leroux, qui était le seul républicain du journal le Globe, où Cousin, Guizot, Rémusat avaient la haute main. Celui-ci avait achevé de paralyser Lafayette en lui disant : « Prenez-vous la responsabilité de la République ? »

Tandis que les républicains se débattaient à l’Hôtel de Ville contre l’inertie flottante de celui qui était pour eux un drapeau, non un chef ; tandis que les députés libéraux réunis chez Jacques Laffitte amusaient l’Hôtel de Ville et l’amadouaient, car il était hérissé de fusils encore fumants, — Thiers se rendait en hâte au château de Neuilly afin d’obtenir l’adhésion formelle du duc d’Orléans à tout ce qui se faisait en son nom dans Paris.

Il y trouva deux femmes : Madame Adélaïde, sœur du prince, et Marie-Amélie, duchesse d’Orléans. Quant au duc, il se cachait dans son château du Raincy, attendant les événements, sans doute aussi parce que Neuilly était trop proche de Saint-Cloud, où s’étaient retirées les troupes royales après le combat. Laffitte l’avait, en effet, invité à se mettre hors de portée des entreprises que la cour pouvait tenter sur lui.

Marie-Amélie accueillit fort mal le négociateur, ou plutôt les négociateurs, car Thiers s’était fait accompagner du peintre Ary Scheffer, ami de la famille d’Orléans. Elle accabla Scheffer de reproches pour avoir osé penser que le duc d’Orléans accepterait la couronne des mains de ceux qui l’enlevaient à son infortuné parent. Les deux ambassadeurs étaient assez embarrassés de leur personnage, lorsque parut madame Adélaïde qui leur fit un bref discours qu’on peut encore abréger, et fixer dans ce seul mot : « Réussissez ». Et elle envoya immédiatement un exprès au Raincy pour avertir son frère que la réunion des députés allait lui offrir le pouvoir.

Les 221 s’étaient réunis au Palais-Bourbon, dans la salle des séances, sous la présidence de Laffitte. De leur côté, les pairs s’étaient également rassemblés au Luxembourg. La Chambre (on peut lui donner ce nom, bien qu’elle eût déclaré n’être pas en séance) refusa de se prononcer sur la communication que lui fit M. de Sussy, de la part de Charles X, concernant la révocation des ordonnances et la désignation du duc de Mortemart, un libéral haï de la cour, comme président du conseil. Puis, sur la proposition du général Sébastiani, qui, nous apprend Louis Blanc, protestait le matin même que la France n’avait point d’autre drapeau que le drapeau blanc, elle offrit la lieutenance-générale du royaume au duc d’Orléans et vota le rétablissement de la cocarde tricolore. La réunion des pairs, qui venaient d’acclamer les héroïques résolutions de fidélité royaliste proposées par Chateaubriand, vota sans trop de résistance la proposition Sébastiani.

Le duc d’Orléans, averti du vote des députés et des pairs, et aussi de l’attitude des républicains de l’Hôtel de Ville, était rentré à pied, dans la nuit, au Palais-Royal, tandis que les délégués de la Chambre allaient à sa recherche. C’est là