Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/142

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que, si le cabinet du Palais-Royal avait songé sérieusement à une annexion ouverte ou déguisée de la Belgique, il eût forcé les libéraux anglais à se joindre aux conservateurs dans un soulèvement de patriotisme contre nous.

Talleyrand, qui recevait les libéraux anglais et ses compatriotes en affectant des allures démocratiques, et d’autre part cherchait à étonner l’aristocratie par le luxe de sa table et de ses équipages, était un trop fin renard pour n’avoir pas constaté cette unanimité du sentiment anglais. L’Angleterre ne tolérerait les démarches de la France en faveur de la révolution belge qu’autant que ces démarches seraient absolument désintéressées. Dans la correspondance qu’il entretenait directement avec le roi, il pénétra fortement celui-ci de cette évidence. Il ne correspondait d’ailleurs que fort peu avec les ministres, et parfois même il n’informait le roi qu’après avoir agi.

À une voix de majorité, le Congrès réuni à Bruxelles offrit la couronne au duc de Nemours. Comme il était convenu, Louis-Philippe refusa pour son fils. Il y eut en Belgique de violentes récriminations. Le parti français accusa, non sans raison, le roi de l’avoir joué. En réalité, la Belgique ne devait pas être appelée à choisir elle-même le souverain qu’elle se donnerait ; et elle devait le recevoir des mains de l’Angleterre.

D’autres difficultés surgirent, qui ne firent pas oublier celle-ci, mais s’y ajoutèrent. Le Congrès de Bruxelles refusait de souscrire aux conditions posées par la conférence de Londres relativement à la séparation de la Belgique et de la Hollande, sur le partage de la dette publique entre le nouvel État et celui dont il se séparait, et sur la possession du Luxembourg, dont Guillaume 1er était souverain, non comme roi de Hollande, mais comme représentant de la maison d’Orange-Nassau.

Les prétentions de la Belgique émurent la Confédération germanique, dont faisait partie le Luxembourg, et la diète décida qu’un corps de 50.000 hommes appuierait le roi de Hollande dans la défense de ses droits comme grand-duc de Luxembourg. Dans ce débat entre la puissance naissante et les puissances établies, les populations intéressées ne furent naturellement pas consultées. La Sainte-Alliance les avait détachées de l’Allemagne pour les donner au roi de Hollande, en échange de sa renonciation au duché de Nassau. Elles s’étaient insurgées, cependant, elles aussi ; mais elles n’avaient pas de leur côté le droit de la force, n’étant point parvenues à déloger la garnison hollandaise de la forteresse de Luxembourg.

Tandis que les Belges et les Luxembourgeois se débattaient au milieu de ces difficultés, le gouvernement français remportait à Londres une victoire plutôt morale qu’effective : il obtenait de la conférence que les forteresses élevées en Belgique par la Sainte-Alliance contre la France seraient démantelées. En échange d’un sacrifice qui coûtait d’autant moins aux puissances que Louis-Philippe multipliait les preuves de son attitude pacifique, notre gouvernement déclara accepter le souverain que l’Angleterre, d’accord avec les puissances, imposait aux Belges, désemparés par le refus de Louis-Philippe et avertis que l’Europe monarchique ne tolérerait point qu’ils élussent pour roi le duc de Leuchtenberg.