Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/144

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prince, qui se comportait à la manière des dictateurs actuels de quelques républiques sud-américaines, ne se contentait pas de molester ses sujets. Deux Français, condamnés par des tribunaux à ses ordres, avaient été, l’un fustigé en place publique, l’autre déporté en Afrique.

Aux légitimes protestations de la France, dom Miguel avait répondu par l’affirmation de son droit de soumettre, non seulement ses sujets, mais les résidents étrangers, à des traitements d’un autre âge. Le gouvernement français mit aussitôt l’embargo sur les navires portugais, et une expédition fut décidée.

Le gouvernement anglais ne mit aucun obstacle à cette démonstration, car il n’avait pas reconnu dom Miguel comme roi légitime. Wellington protesta donc en vain contre le soufflet que, prétendait-il, la France venait d’infliger à l’Angleterre. Cette opération était donc encore sans péril. Louis-Philippe était d’ailleurs bien résolu à n’en pas accomplir qui eussent compromis la paix européenne. C’est ainsi qu’il pouvait protéger nos nationaux molestés au Portugal, mais se gardait bien de réclamer à la Russie les prisonniers français qui languissaient en Sibérie depuis l’invasion de 1812.

L’expédition du maréchal Gérard en Belgique et la démonstration navale de Lisbonne avaient donné quelque répit au cabinet présidé par Casimir Perier. L’effort de l’opposition en était réduit pour le moment à se porter sur les affaires de Pologne et sur la politique intérieure.

Soudain arrive à Paris la nouvelle de la capitulation de Varsovie. Cette chute était prévue, la défaite de l’insurrection polonaise ne pouvant être douteuse pour personne, étant donnée la tournure prise par les événements dans ce malheureux pays. L’événement n’en causa pas moins une émotion indicible dans toute la France. Car si elle était divisée sur l’opportunité d’une intervention en faveur de la Pologne, l’opinion était unanime dans les vœux qu’elle formait pour l’insurrection et dans l’intérêt passionné qu’elle apportait aux péripéties d’une lutte trop inégale, mais où l’héroïsme polonais fit plus d’une fois pencher la balance du côté du bon droit.

Nous avons dit, dans un chapitre précédent, le peu d’homogénéité de cette nation, sinon par la langue, les mœurs et la religion, du moins par les sentiments, les idées et les intérêts. En ce moment où, par l’effort de sa classe ouvrière, la nation polonaise affirme de nouveau sa vitalité et lutte pour sauver sa civilisation, presque entièrement occidentale, du despotisme à la fois oriental et bureaucratique de l’absolutisme russe, il est du plus haut intérêt de montrer, à soixante-quinze ans de date, les causes intérieures qui s’ajoutèrent aux déjà trop nombreuses causes extérieures pour consommer la défaite d’un peuple dont le long martyre prouve avec éloquence son droit à un meilleur sort.

La révolution polonaise de 1830 s’appuyait sur trois éléments presque inconciliables : Il y avait d’abord l’aristocratie, dont les membres n’étaient pas plus d’accord sur les griefs qui les animaient que sur le but à poursuivre en commun pour en obtenir le redressement. À côté de ceux qu’avaient révoltés les manières hautaines