Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/170

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On intenta donc un procès aux saint-simoniens, on prétexta l’irrégularité de leur constitution en société pour perquisitionner chez Enfantin, alors chef de la doctrine, et, le 22 janvier 1832, un commissaire de police venait dissoudre la réunion de la rue Taitbout. Mais ce n’était pas le juge chargé d’instruire leur procès qui allait ruiner l’autorité morale des saint-simoniens. La funeste déviation religieuse imprimée à la doctrine par Enfantin n’y devait que trop suffire, ainsi que nous le verrons par la suite.

Les saint-simoniens servirent à distraire l’attention publique. En s’en prenant à eux, le gouvernement espérait détourner les esprits de toute réflexion sur le formidable soulèvement qui avait mis la seconde ville de France au pouvoir des ouvriers pendant dix jours. Mais est-ce bien à Casimir Perier qu’il faut attribuer le mérite de n’avoir pas inquiété des ouvriers qui s’étaient mis à la tête de l’insurrection et d’avoir tout fait, dans le pays comme à Lyon, pour réduire ce mouvement aux proportions d’une querelle locale entre ouvriers et patrons ? Il était si âpre à venger toute atteinte à l’autorité, et la conduite du gouvernement fut si habile (l’opposition elle-même en fut réduite à le servir en cette affaire), qu’il faut chercher une autre inspiration, émanant d’un esprit plus délié.

Une lettre du roi au maréchal Soult, du 29 novembre, dans laquelle il lui donne des instructions détaillées nous livre l’inspirateur de cette politique habile. Dans cette lettre, le roi montre combien il sent la nécessité d’atténuer le plus possible le caractère, le retentissement et les suites de l’insurrection. D’ailleurs, rien que le fait de faire figurer le duc d’Orléans, l’héritier de la couronne, à côté du chef militaire chargé de la répression, nous eût fixés à cet égard.

« Le grand point, le point culminant de notre affaire, dit le roi au maréchal, c’est d’entrer dans Lyon sans coup férir et sans conditions. Tout sera, si ce n’est fini, au moins sûr de bien finir, quand cela sera effectué. Sans doute, il faudra le désarmement, et les mesures nécessaires pour l’opérer. »

Mais s’il recommande « la sévérité » et souligne le mot, c’est surtout pour les soldats qui ont manqué à leur devoir, « surtout pour ces compagnies du génie et autres militaires qui ont quitté leurs drapeaux et sont restés à Lyon ». En tout cas, « pas d’exécution », et Louis-Philippe, ici encore, souligne le mot et ajoute : « Ce n’est pas à vous que j’ai besoin de le dire. »

Il connaît bien la « modération » de Soult, mais il n’ignore pas les fureurs des fabricants et que, « dans le succès », « les conseils violents arrivent de toutes parts, et surtout de ceux qui se tenaient à l’écart pendant la lutte ». Ces conseils ne furent sans doute pas inutiles.

Pendant que le gouvernement s’efforçait d’atténuer l’importance, et les suites de l’insurrection, le saint-simonien Barrault, dans un discours du 27 novembre, en dénonçait le caractère nouveau en ces termes :

« Voici qu’aujourd’hui, vérifiant la justesse de nos prévisions tant de fois exprimées, une population entière d’ouvriers s’insurge. Et quel drapeau a-t-elle arboré ? Est-ce le drapeau tricolore ? Est-ce aux cris de liberté, de charte, de république, de