Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/211

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Messie, le mot ne choquait pas Enfantin. Il n’attendait pas sa mort pour organiser des pèlerinages aux lieux où s’étaient passés les incidents capitaux de sa vie. Lorsque tous ses « enfants » eurent revêtu l’habit, il leur dit : « Le jour n’est pas éloigné où nous montrerons cet habit hors de notre maison. Dimanche, nous sortirons. »

Et il leur indiqua trois buts : la tombe de sa mère, le chemin de Vincennes où, en 1814, il défendit Paris sous l’uniforme de l’École Polytechnique, enfin le berceau de son enfant à Saint-Mandé.

Cette allocution terminée, une procession s’organisa dans le jardin au chant de : Peuple, si notre voix réclame, et les discours ou plutôt les sermons reprirent.

Le lendemain, la « famille » lançait un manifeste sur les journées sanglantes qui s’achevaient.

Ce manifeste répudiait la violence employée de part et d’autre.

« Nous aimons les républicains, y était-il dit, parce qu’ils aiment le peuple, parce qu’ils veulent le progrès… mais nous ne sommes pas républicains, parce que les républicains veulent un progrès désordonné… — Nous aimons les légitimistes, parce qu’ils aiment l’ordre, parce qu’ils sentent les droits du riche… mais nous ne sommes pas légitimistes, parce que les légitimistes n’aiment pas les droits du pauvre… — Nous aimons le juste milieu, parce qu’il aime par-dessus tout la paix, l’ordre, la tranquillité, la prospérité du commerce… mais nous ne sommes pas juste milieu, parce qu’il ne rend justice ni aux républicains ni aux carlistes. »

Le manifeste affirmait ensuite en ces termes le but saint-simonien, qui était « dans l’intérêt de tous les partis » et que « notre père Enfantin » avait trouvé. « C’est le développement de l’industrie, l’organisation en grand du travail, l’affranchissement pacifique et progressif des travailleurs. » Quant aux « moyens actuels de l’atteindre », ils consistaient à commencer immédiatement le chemin de fer de Paris à Marseille, à organiser dans Paris une distribution générale d’eau et un système général d’égouts, à percer une rue du Louvre à la Bastille, à envoyer dix mille hommes « défricher et mettre en valeur les landes de la Bretagne », enfin, à transformer graduellement l’organisation militaire de l’armée en une organisation industrielle, « en sorte que tout régiment serait une école d’arts et métiers et que tout soldat en sortirait bon ouvrier ».

De la sorte, le peuple aurait « du travail, de l’aisance, du bien-être » ; les entrepreneurs, les capitalistes, « de gros bénéfices » ; et les propriétaires auraient le choix entre « l’augmentation de valeur ou la défaite avantageuse de leurs propriétés ». Et « tout le monde s’enrichirait sans que personne fût appauvri ».

Le dimanche 1er juillet, les travaux de construction d’un temple furent solennellement ouverts dans le jardin de la communauté, par des chants dont Félicien David avait composé la musique.

Dans ces chants, le « nouveau christianisme » et la mission du « Père » s’affirmaient en ces termes :