Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/232

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phobie et la mégalomanie menaient nos aînés. C’est à se réjouir que leurs efforts n’aient pas alors réussi à renverser Louis-Philippe !

Mais revenons à Constantinople. L’amiral Roussin avait compté sans l’obstination de Méhémet-Ali, qui entendait garder tout ce que ses armes avaient conquis, c’est-à-dire la Syrie et le district d’Adana en Asie Mineure. Et pour affirmer sa prétention, il poussa les troupes d’Ibrahim sur Scutari, c’est-à-dire en face de Constantinople, sur la rive opposée du Bosphore. Les Russes, rappelés par le sultan, débarquent quinze mille hommes à Scutari, tandis qu’une autre armée russe, plus nombreuse, s’apprête à franchir le Danube. Alors, lord Ponsonsty, ambassadeur d’Angleterre, intervient à son tour et appuie les menaces de l’amiral Roussin. Une flotte anglo-française parait dans l’Archipel.

C’est le moment pour le sultan de laisser les puissances aux prises. Mais non. Ce qu’il avait refusé, il l’accorde soudain ; il accepte les dures conditions de son hautain vassal et, le 5 mai 1833, signe la convention de Kutayeh. D’où vient donc ce revirement subit ?

On ne tarda pas à en connaître la cause, et elle ne fut pas de nature à réjouir la France et l’Angleterre, jouées par le subtil Oriental. Par la convention d’Unkiar-Skelessi, du 8 juillet suivant, la Russie s’engageait à fournir dans l’occurrence des secours à la Porte, qui, de son côté, fermait les Dardanelles à tout navire étranger. La Russie avait son salaire. L’émoi fut grand en France et en Angleterre, où l’on refusa de reconnaître ce traité. C’est à dater de ce moment que l’Angleterre se rapprochera de l’Autriche pour en conjurer les effets.

D’autres événements se déroulaient dans le même moment à l’autre extrémité de l’Europe méridionale, où l’appui des volontaires français et de l’argent anglais mettait un terme à la tyrannie de don Miguel, malgré l’appui apporté à celui-ci par le maréchal de Bourmont. Et tandis que l’absolutisme expirait au Portugal, le roi Ferdinand VII en faisait autant de son côté, le 29 septembre, laissant la régence à la reine Christine et le trône à une enfant de trois ans, celle qui devait être Isabelle II.

Enfoncé jusqu’au cou dans sa mégalomanie, Louis Blanc fait un grief au gouvernement de Louis-Philippe de s’être empressé à reconnaître la jeune reine. Il lui reproche de n’avoir pas invoqué la loi salique et de n’avoir pas ainsi soutenu les prétentions de don Carlos, frère du roi défunt. Tout cela dans la crainte de l’éventuel Charles-Quint qui pouvait épouser un jour la petite reine ! Au-dessus de la loi salique, n’y avait-il pas la constitution, les lois du pays ? Or, Ferdinand VII avait pris ses précautions en promulguant, en 1830, la pragmatique de Charles IV votée en 1789 par les Cortès et rendant les filles aptes à succéder.

Don Carlos fut abandonné à ses propres forces, l’Europe étant liée à la non-intervention par la proclamation qu’avaient faite de ce principe la France et l’Angleterre. Il put ensanglanter son pays par une guerre qui dura six ans ; mais l’Espagne put s’acheminer, néanmoins, à travers mille souffrances, dans les voies du régime constitutionnel. On sait qu’elle n’est pas encore délivrée du mal clérical et abso-