Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/262

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sacre et le pillage. « C’est ainsi qu’agissaient les Turcs, » disait-on pour justifier ces procédés. Était-ce pour imiter les Turcs que le duc de Rovigo faisait juger et exécuter deux chefs arabes, convaincus sans doute de trahison, mais qui ne s’étaient livrés entre ses mains que sur la foi d’un sauf-conduit ? Cette perfidie exaspéra les populations plus encore qu’elle ne les intimida. De là, autour même d’Alger, une succession d’alertes, de révoltes, de surprises, de représailles presque également sanglantes et féroces des deux parts : petite guerre continuelle où notre armée se débattait sans avancer. »

La sévérité de l’historien monarchiste pèse-t-elle ici plus que de raison sur l’homme qui en 1802 présida à l’exécution du duc d’Enghien et fut soupçonné de n’avoir pas été étranger à la mort étrange de Pichegru ? Cet ancien commandant de la gendarmerie du premier Consul et directeur d’un bureau de police secrète, un instant rival heureux de Fouché et de Talleyrand, avait persécuté les royalistes aussi durement que les républicains. C’est lui qui, par un subterfuge, attira en France Ferdinand VII, en 1808, et l’y retint prisonnier.

Mais non, M. Thureau-Dangin a pu légitimement, et sans assouvir une rancune de parti, tracer ce portrait peu flatteur. Savary avait la traîtrise dans le sang. Profondément immoral, il n’avait pour loi et pour règle que d’être le plus fort, par ruse sinon par violence, l’une aidant l’autre. Lui qui trahissait si allègrement sa parole, il était implacable pour les malheureux à qui sa violence et sa ruse ne laissaient de recours que dans la perfidie. Les El-Ouffias, une tribu des environs d’Alger, ayant manqué à la foi des traités, il les extermina. Ceci se passait en février 1832.

Un an encore, il terrorisa la région où s’étendaient ses armes, semant les haines qui pendant de longues années allaient faire surgir des vengeances et des révoltes, suscitant parmi ces peuplades dispersées et hostiles les unes aux autres la solidarité du malheur et de l’espérance. Dans le faible rayon soumis à son commandement, le seul bien qu’on lui doive est la construction de quelques routes. Ses prédécesseurs n’avaient eu ni le temps d’y penser, ni les moyens de le faire, d’ailleurs.

À ce bourreau succéda le général Desmichels en 1833. Voici quelle était alors la situation des Français en Algérie : ils tenaient Alger et ses environs immédiats, c’est-à-dire, une faible partie de la plaine ; ils occupaient Bône, Oran et un court rayon de quelques kilomètres autour de cette ville. Leurs alliés tenaient Mostaganem et Tlemcen. Et c’était tout.

C’est alors que surgit l’homme qui devait nous chasser de l’Algérie ou nous forcer à la conquérir tout entière. Abd-el-Kader était fils de Mouhi-el-Din, un homme qui jouissait d’une grande autorité, due à son savoir et à son intelligence. Le jeune homme avait été élevé dans la zaouia de Kechrou. Les zaouias sont les couvents ou plutôt les centres de méditation et d’action des confréries musulmanes. C’est dans ces congrégations, où l’initiation est précédée de pratiques minutieuses et accomplie par des serments d’obéissance absolue, qu’Ignace de Loyola