Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/263

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était allé, trois siècles auparavant, chercher les règles et les pratiques qui devinrent celles de l’ordre des jésuites.

Grandi dans un tel milieu, où se conserve intacte la doctrine religieuse et où bat le cœur de la vie sociale musulmane, Abd-el-Kader développa en lui les dons d’éloquence et d’habileté qui devaient par la suite lui donner un puissant ascendant sur ses coreligionnaires. Son père avait pris une si grande autorité dans la région de Mascara, et lui-même exprimait avec tant de force l’âme même des Arabes, que les Turcs tentèrent de les faire assassiner tous deux. Protégés par les confréries, ils purent s’enfuir et s’en allèrent en pèlerinage à la Mecque, ce qui à leur retour les fit sacrés aux yeux des musulmans et acheva leur renommée.

Pendant leur pèlerinage, la puissance turque avait été ruinée à Alger par les armes françaises. Soulevant le patriotisme local, Mouhi, suivi de son fils, se met à la tête des habitants de la plaine d’Eghris et chasse les Turcs de Mascara. On veut le nommer émir, c’est-à-dire chef suprême ; il repousse cette dignité, dont il investit son fils Abd-el-Kader. Ceci se passait en 1832.

Tout cela donnait un prestige immense au jeune khouan promu à la dignité suprême. Il a battu les Turcs, et les a chassés. Il faut qu’il en fasse autant des roumis, bien plus étrangers encore que les Turcs. Abd-el-Kader attaque la ville d’Oran. Desmichels accourt, le bat dans deux rencontres, prend Arzew et Mostaganem.

Abd-el-Kader est battu, mais non vaincu. Appelés à la guerre sainte par les marabouts, les Arabes s’enthousiasment pour celui qui tient le drapeau de l’Islam. De toutes parts, ils accourent vers lui, forment en peu de temps une véritable armée qui enlève au général Desmichels toute espérance de vaincre un ennemi aussi formidable. Estimant qu’il pourra faire au jeune lion sa part, espérant être un jour assez fort pour la lui arracher, le général français conclut avec Abd-el-Kader, le 26 février 1834, un traité qui consacre le prestige de celui-ci aux yeux du monde musulman.

Ce traité, où Abd-el-Kader traite sur le pied d’égalité avec le gouvernement français, est en effet un triomphe pour le peuple arabe. C’est une puissance qui s’affirme en face d’une autre puissance, et l’oblige à compter avec elle. Abd-el-Kader gardait ses possessions, le port de la Marsa, obtenait le protectorat d’Oran. Nul chrétien ne pouvait voyager par terre sans « une permission revêtue du cachet du consul d’Abd-el-Kader et de celui du général ».

Mais ce n’était pas un traité de paix. Les deux adversaires étaient au moins d’accord en ce point, de ne le considérer que comme une trêve, celui qui se sentirait en force le premier se réservant de la rompre au moment favorable.