Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/284

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neste manifestation d’insolidarité avait été obtenue d’eux par les bons traitements dont ils avaient été l’objet à la prison du Luxembourg, tandis que les Parisiens à Sainte-Pélagie et les soldats de Lunéville à l’Abbaye voyaient leurs geôliers changer en rigueurs extrêmes les menues faveurs des premiers jours. Il ajoute que les Lyonnais récalcitrants furent également maltraités. Cela est possible. Mais il est certain que ce ne furent pas les adoucissements apportés à leur sort qui décidèrent les Lyonnais à accepter le procès. Ils voulaient parler, crier la misère ouvrière et les provocations d’un gouvernement dévoué aux fabricants. Ce motif suffit à expliquer, sinon à justifier leur décision.

L’attitude des accusés avait mis les juges en mauvaise posture. Une faute des défenseurs vint les en tirer. Une lettre signée de tous les défenseurs parut dans le National : cette lettre injuriait violemment la Haute Cour et se terminait par ces mots : « L’infamie du juge fait la gloire de l’accusé. » Des poursuites sont aussitôt ordonnées contre les signataires. Michel (de Bourges), qui a rédigé la lettre, et Trélat déclarent en prendre à eux seuls la responsabilité, la signature des défenseurs ayant été mis au bas de ce document sans leur assentiment.

Mais ce nouveau procès permettait de poursuivre des députés républicains. La Cour retint donc tous les signataires, et demanda à la Chambre la levée de l’immunité parlementaire des députés inculpés, entre autres Cormenin et Audry de Puyraveau. En vain, devant la Chambre, Arago évoqua le souvenir de Ney frappé par la Chambre des pairs ; la levée de l’immunité fut accordée en ce qui concernait Audry de Puyraveau. Cormenin fut épargné.

Le 20, l’audience s’ouvrit sur ce procès, greffé sur l’autre. Aucun des défenseurs ne désavoua la lettre. Les uns refusaient de répondre, les autres déclaraient que si on la leur avait présentée ils l’auraient signée. Quand ce fut le tour de Trélat, il interpella directement les hommes qui s’érigeaient en juges. « Il y a ici, dit-il, tel juge qui a consacré dix ans de sa vie à développer les sentiments républicains dans l’âme des jeunes gens. Je l’ai vu, moi, brandir un couteau en faisant l’éloge de Brutus. »

Et il rappela « le serment de l’un d’eux, serment à la République ». Il regarda en face « d’anciens complices de la charbonnerie ». Il accusa ces révolutionnaires de la veille d’avoir mis la main sur Puyraveau, « le courageux député qui le premier avait ouvert sa porte à la révolution ». Après lui, Michel (de Bourges) condamna sa tactique d’abstention, sans s’en douter, par la magnifique plaidoirie qu’il fit et que le grand procès lui eût permis de faire à chaque heure. Une dizaine de défenseurs furent condamnés : Trélat à trois ans de prison, Michel (de Bourges) et les autres à un mois, sans préjudice des amendes dont Trélat, Michel (de Bourges) et les gérants du National et du Réformateur eurent la plus forte part : dix mille francs chacun, tandis que l’amende des autres condamnés s’abaissait à cinq cents francs et à deux cents francs.

La Cour se remit au grand procès. Les Lyonnais furent admirables d’énergie. Reverchon et Lagrange surtout ne ménagèrent pas leurs juges. « Frappez, leur