Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/311

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tion, et, dans les périls qu’elle offrait, il semblait ne voir que l’occasion de réclamer un surcroît d’avantages matériels pour lui et les siens. Afin de marier convenablement sa fille au roi des Belges, il demanda, dès l’ouverture de la session, une dotation d’un million, et, de plus, le château de Rambouillet pour son deuxième fils, le duc de Nemours. Tandis que ce quémandeur inlassable envoyait ainsi Molé s’exposer aux rebuffades de l’opposition et se livrait lui-même aux quolibets de Cormenin, l’hiver aggravait une crise industrielle assez intense, et les prolétaires errants en quête de travail et de pain entendaient les boutiquiers en mévente parler hargneusement de ce château et de ce million que le roi voulait arracher à la nation, aux contribuables, pour les donner à ses enfants.

À ces tracas que Louis-Philippe imposait à son cabinet s’en ajoutèrent d’autres qui amenèrent une crise ministérielle. L’acquittement des accusés de Strasbourg — sauf Persigny que sa contumace fit condamner à la déportation, — avait suggéré au pouvoir l’idée de présenter aux Chambres un projet de loi portant que, dans le cas où une commune accusation réunirait des civils et des militaires, on les séparerait pour les soumettre à leur juridiction respective, les premiers aux tribunaux ordinaires et les seconds aux conseils de guerre.

Cette loi de disjonction fut proposée à la Chambre le 24 janvier 1837, en même temps que celle qui dotait la reine des Belges et apanageait le duc de Nemours, et y reçut le plus désastreux accueil. Dupin lui-même eut honte de cet attentat juridique qui enlevait les accusés à leurs juges naturels. Bugeaud avoua le vrai caractère des répressions politiques en demandant le conseil de guerre pour tous les accusés, mais cette exagération ne sauva pas le projet de loi, qu’avec sa haute éloquence Berryer combattit, tandis qu’on vit Lamartine le soutenir. Aux applaudissements des tribunes, le projet fut repoussé le 7 mars par 211 voix contre 209.

Cette défaite eût dû entraîner la retraite du cabinet. Soutenu par Louis. Philippe, le comte Mole ne broncha pas. Mais quelques-uns de ses collègues, Guizot notamment, plus respectueux du mécanisme parlementaire, se retirèrent. Le ministère fut remanié le 15 avril, et l’homme-lige du roi, le comte de Montalivet prit l’Intérieur, qu’il avait déjà occupé dans le ministère Laffitte. Guizot retourna sur les bancs de la Chambre prendre la direction du centre droit, tandis que Thiers présidait aux manœuvres du centre gauche.

Sitôt remis en selle par la réorganisation du ministère, le comte Molé revint devant la Chambre avec une nouvelle demande d’argent pour la famille royale. Cette fois, il s’agissait d’obtenir en faveur du duc d’Orléans un supplément de dotation, à l’occasion de son mariage avec la princesse Hélène de Mecklembourg. Pour faire passer l’affaire, on retirait la demande faite en faveur du duc de Nemours. Ce fut là tout le programme du ministère reconstitué. « Nous ne sommes point des hommes nouveaux, avait dit Molé dans sa déclaration ministérielle, tous nous avons participé à la lutte. Vous savez qui nous sommes, et notre passé vous est un gage de notre avenir. Nous ne vous présenterons pas d’autre programme ; nos actes vous témoigneront assez de nos intentions. » Il avait parlé pour ne rien