Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/336

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ceux qu’on leur demandait : presque tous des enthousiastes se flattant de trouver le bonheur sans fatigue.

D’ailleurs, que faire avec un aussi faible capital, gâché par des entrepreneur sans scrupule que nul parmi les associés ne savait contrôler et réfréner ! Le directeur choisi était un très brave homme et d’un désintéressement exemplaire, mais il ignorait tout d’une exploitation agricole et manufacturière. Ce fut un effondrement.

Fourier se justifia. Ce n’était pas la doctrine qui était en faute, mais les hommes qui avaient refusé de l’appliquer. « Je n’ai rien fait à Condé, s’écriait-il : un architecte qui y dominait ne voulait rien admettre de mon plan… Il commença par bâtir une grande rapsodie provisoire, sur un terrain fangeux au-dessous du niveau des eaux. Je ne pouvais adhérer à ce galimatias de bâtisse, qui n’aurait servi à rien en industrie combinée, et qui n’était bon qu’à dégoûter les visiteurs, les empêcher de prendre des actions, faire manquer les moments de vogue : j’abandonnai la partie, ne voulant pas me compromettre en paraissant coopérer à ces dispositions qui n’étaient d’aucun emploi pour le mécanisme sociétaire ».

La Phalange miniature qu’on projeta d’édifier sur les ruines de la Colonie sociétaire, et qui devait ne comprendre que des enfants, occupa ensuite l’activité des disciples de Fourier ; mais elle resta à l’état de projet, malgré les instances de Considérant, réalisateur acharne, qui devait poursuivre son rêve jusqu’en Amérique et le voir de nouveau s’évanouir dans l’entreprise du Texas.

Mais les titres socialistes de Considérant ne sont pas tout entiers dans ces vaines tentatives, auxquelles il consacra le meilleur d’une activité généreuse jusqu’à l’exubérance. Dès 1834, il publiait la Destinée sociale, où, débarrassée de toutes les théories cosmogoniques, l’idée fouriériste de l’association prenait un solide fondement de critique et d’analyse sociale et économique.

Avec plus de force encore que Fourier, et serrant de plus près le problème économique, Considérant montre que ce problème est capital. Parlant du peuple, il déclare que c’est à son bien-être que peut se « mesurer le degré de liberté qui peut lui être laissé, ou, ajoute-t-il très expressivement, qu’il est capable de se donner ». Les progrès économiques ne dépendent donc pas des propres politiques, mais bien ceux-ci de ceux-là. « Si nous sommes affranchis du joug féodal, dit-il, ce n’est pas aux constitutions politiques que nous le devons, car les constitutions n’ont rien fait autre chose que de constater l’émancipation opérée du Tiers-État et des Communes, émancipation due à cela seul que le Tiers-État, les Communes, les hommes taillables et corvéables, avaient conquis peu à peu, par les sciences et l’industrie, une puissance sociale supérieure à l’ancienne puissance féodale de leurs seigneurs. »

Démocrate, le Considérant de 1834, ne l’est pas, à la manière simpliste tout au moins. Ses sarcasmes contre la démocratie égalent, s’ils ne les dépassent, ceux de Fourier. « L’élection républicaine », où « tout le monde est appelé », le met en fureur. « Portefaix, s’écrie-t-il, charbonniers, forts de la halle, rustres, ivrognes… Tout