Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/337

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

malotru français enfin va donner sa voix et choisir législateurs, hommes d’État, chefs de gouvernement !!!… Ici, il ne faut plus parler de réfutation. Nous sommes dans les eaux du docteur Esquirol. «

Est-ce qu’il est contre le principe de l’élection ? Non, puisque, dans le système sociétaire, tout repose sur l’élection. « Je vous fais bon marché, dit-il, de tous les pouvoirs par la grâce de Dieu, de toutes les impostures monarchiques ou religieuses sous lesquelles l’humanité a courbé et courbe encore les reins. Il n’y a de pouvoir légitime, en système absolu, que celui qui vient de l’élection ou du consentement. »

Mais « aucun principe juste n’est applicable dans une société organisée à contresens de la justice. » Une société fondée sur l’exploitation du travailleur ne peut donner à celui-ci part au pouvoir sans amener le gâchis, à moins que ce pouvoir ne soit une dérision, son maître tenant son vote comme il tient son pain. De plus, dans le système fouriériste, le vote est compétent, chaque pouvoir émanant des intéressés que réunit l’attraction passionnelle et s’élevant progressivement du groupe à la série, de la série à la phalange et de celle-ci à la réunion des phalanges d’une région.

Considérant était donc contre les procédés politiques de la démocratie, et non contre la démocratie elle-même. Il ne devait pas tarder à apercevoir, avec sa belle et lucide intelligence, que la démocratie peut être et doit être un moyen de réaliser la transformation sociale. Mais ce n’en est pas moins de lui que viennent, et très directement, les idées qui ont si longtemps dominé chez les socialistes révolutionnaires, et subsistent encore chez les anarchistes, sur l’inutilité des moyens politiques. C’est encore de lui que s’inspirent les socialistes qui ne croient pas à la vertu des réformes législatives, avec cette différence qu’ils substituent à ses moyens pacifiques des moyens révolutionnaires.

Pour lui, en effet, « longtemps avant que le Phalanstère, la Banque du Peuple, les Ateliers sociaux, le communisme icarien ou toute autre formule aient acquis assez de partisans, pour songer à faire une entrée quelconque dans la voie législative, ils en auraient cent fois, mille fois plus qu’il n’en faudrait à chacun respectivement pour se réaliser avec ses propres partisans, spontanément, sans loi aucune, au sein de la nation et de la liberté ».

J’ai insisté sur Considérant, car c’est lui qui va devenir le chef de la doctrine à la mort de Fourier. Il donnera à l’école sociétaire une impulsion que son fondateur n’eût pu lui donner. Fourier est l’inventeur. Considérant perfectionne et met en œuvre l’invention.

Inventeur, ai-je dit parlant de Fourier. C’est bien ainsi qu’il faut l’appeler. Il a de l’inventeur le génie à la fois vaste et minutieux, en même temps que l’absence totale de sens pratique. Si l’on veut appliquer son système, il faut le prendre tout entier. L’essai de Condé-sur-Vesgre a manqué parce qu’on n’a pas suivi ses plans et que, de sa doctrine, on a voulu en prendre et en laisser. Avec lui, il faut tout prendre.

Et, je l’ai dit, rien n’était moins homogène que le groupe des disciples de la