Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/358

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République n’est pas un but, mais un moyen, et qu’elle ne sera en réalité que lorsque la terre appartiendra à tout le monde.

Comment douteraient-ils du succès d’un coup de main hardi ? Est-ce que le peuple serait assez contre son intérêt pour ne pas suivre ses libérateurs ? « Nous sommes vingt-quatre millions de pauvres, disait l’Homme Libre dans son quatrième numéro, et nos ennemis sont en petit nombre. » Et quand même le peuple, abruti par sa servitude, ne prêterait pas les mains à sa libération, son inertie doit-elle arrêter ceux qui veulent agir ? Ils sont en petit nombre, eux aussi, mais la victoire ne se vend pas au poids, elle se donne à la valeur.

Ils étaient douze cents, groupés par semaines, mois et saisons. Bien que chacun dût se pourvoir d’un fusil en entrant dans l’association, beaucoup d’entre les trois cents qui furent exacts au rendez-vous donné par Blanqui, Barbes et Martin-Bernard, se présentèrent les mains vides. Double déficit. De ces hommes si sûrs, liés par des serments, si impatients eux-mêmes d’aller au combat, un sur quatre seulement ! Du moins, sur le second point, la stratégie des chefs ne fut-elle point en défaut. Ils n’avaient pas d’armes à donner aux soldats qui en manquaient, mais ils les avaient réunis à proximité d’un armurier, à quelques centaines de mètres de leur dépôt de cartouches de la rue Quincampoix.

Il y avait eu désaccord entre les chefs sur le moment de l’action. Barbès, qui était allé dans l’Aude prendre part à la campagne électorale, eût voulu le retarder. Il avait, en tout cas, promis de revenir à Paris au premier signal. Blanqui et Martin-Bernard jugeant les circonstances favorables, croyant qu’une crise ministérielle, où toutes les fibres fortes du pouvoir sont relâchées et tous les esprits préoccupés des affaires publiques, leur offrait toutes les chances de succès, avaient fixé la prise d’armes au 5 mai.

Blanqui fit reculer la date de huit jours, afin que l’insurrection put mettre à profit le changement de la garnison de Paris et ne trouvât devant elle que des soldats inhabiles à retrouver leur chemin dans le lacis de vieilles rues propice aux mouvements révolutionnaires. Barbès, rappelé à Paris par Blanqui, refusa d’abord de venir, puis, sur une seconde lettre qui, selon une version d’un ancien compagnon de captivité des deux chefs révolutionnaires, piqua son courage en le mettant en doute, vint prendre son poste de combat.

Dans le bref billet qui rappelait à Barbès l’engagement pris, Blanqui a-t-il vraiment dit à Barbès, dont il connaissait et appréciait la qualité maîtresse : « Tu es un lâche » ? Nous n’avons là-dessus que l’affirmation de Langlois, et elle peut être une interprétation. Sans doute Blanqui a-t-il dit : « Si tu ne reviens pas, nos amis diront que tu es un lâche ». Qu’on songe à la différence profonde qui existait entre eux : Blanqui, froid, précis, méthodique, calculateur ; Barbès, emporté, capricieux, déréglé, tout de premier mouvement. Le premier établit une discipline et s’y soumet ; le second veut bien imposer la sienne, mais n’en accepte aucune de bon gré.

Martin-Bernard était surtout l’ami de Barbès, mais par la pensée le jeune