Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/359

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imprimeur était plus près de Blanqui. Il avait donné son cœur au premier, mais sa tête était tout entière au second, dont il subissait l’invincible ascendant. Il s’associa donc aux instances de Blanqui et, rongeant le frein, Barbès accepta le rendez-vous et y fut exact.

Dans quel esprit il y venait, les douloureuses querelles de l’avenir, aigries par l’isolement individuel, puis collectif, des prisons du Mont-Saint-Michel et de Belle-Isle, le diront assez, et ce sera la tâche de Georges Renard d’avoir à réconcilier devant la postérité ceux qui furent à ce moment la tête et le bras de la révolution et ne déméritèrent point l’un de l’autre au moment du péril.

Midi était l’heure fixée pour le rassemblement, au coin de la rue Mandar et de la rue Montorgueil, rue Bourg-l’Abbé et rue Saint-Martin, en face du numéro 10. Un va-et-vient entre les trois groupes s’établit, on s’étonne d’être aussi peu nom-breux. Les chefs rassurent leurs hommes : les retardataires ne peuvent manquer d’arriver d’un moment à l’autre. Tandis que Blanqui, après avoir attaché un guidon rouge à son pistolet, emmène sa troupe rue Bourg-l’Abbé, Barbès court au dépôt de la rue Quincampoix. Tout cela dans un va-et-vient hâtif, fiévreux, inquiet, où bourdonnent des murmures contre Barbès, jusqu’à ce qu’il soit revenu avec les cartouches. Blanqui alors élève en l’air son guidon rouge, des groupes d’hommes se précipitent des rues avoisinantes et se massent autour de lui.

La boutique de l’armurier Lepage est envahie. Barbès et Blanqui distribuent des armes et des cartouches dans le désordre et le brouhaha. Malgré les disciplines verbales de comité, chacun sur le terrain de l’action propose son idée, l’oppose à celle de son voisin ou s’accorde avec lui pour accuser les chefs d’impéritie, même de trahison.

Mais à présent que tous sont armés, que nulle main ne se tend plus vers les caisses de fusils et de cartouches, il faut bien, malgré le petit nombre, se décider à exécuter le plan décidé par les chefs. Parmi ceux-ci, Blanqui se tient pâle et tremblant, domptant de son mieux un mouvement de nature que, ne l’éprouvant pas pour son compte, Barbès ne peut comprendre et dont il lui fera grief plus tard. Barbès ignore la colique d’Henri IV au moment du combat, et comment il s’apostrophait : « Tu trembles, carcasse ! mais tu tremblerais bien plus si tu savais où je vais te conduire tout à l’heure. »

Blanqui, lui aussi, dompte la carcasse, et d’un pas ferme il dirige sa troupe sur le Châtelet, où il doit attendre celle de Barbès pour attaquer l’Hôtel de Ville. Barbès a entraîné déjà la sienne vers la préfecture de police, qu’il se propose d’enlever rapidement, laissant au peuple soulevé le soin d’occuper la place, une fois conquise. La troupe de Martin-Bernard retrouvera les deux autres au Châtelet après avoir promené l’appel aux armes dans les rues.

A la préfecture de police. Barbès et ses hommes sont arrêtés par le poste accouru sous les armes. Tandis que Barbès somme le lieutenant Drouineau, commandant du poste, de le laisser passer, des coups de feu sont tirés par des insurgés. Le lieutenant tombe, les municipaux ripostent, la fusillade s’engage, le poste est