Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/361

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l’ouragan. Frappe, extermine sans pitié les vils satellites, complices volontaires de la tyrannie ; mais tends la main à ces soldats sortis de ton sein, qui ne tourneront point contre toi des armes parricides.

« En avant ! Vive la République !

« Barbès, Voyer d’Argenson, Auguste Blanqui, Lamennais, Martin-Bernard, Dubosc, Laponneraye. «

Les noms de Voyer d’Argenson et de Lamennais avaient été mis à leur insu au bas de la proclamation, non pour les compromettre, car, en cas d’échec, nulle charge n’eût pu être relevée contre eux, mais pour utiliser l’immense popularité de l’auteur des Paroles d’un Croyant et rendre hommage à celui qui, à la Chambre, s’était fait le champion de la démocratie et du socialisme. Cependant, au cas d’une de ces furieuses tourmentes de réaction où la bourgeoisie venge sa frayeur par sa férocité et, toujours calculatrice, profite de sa vindicte pour frapper à la tête et liquider ses plus puissants adversaires, le procédé pouvait vouer au massacre le prêtre rebelle à l’Église et le grand seigneur communiste. On ne peut donc approuver les hommes du 12 mai d’avoir ainsi, délibérément, à la fois abusé le peuple et jeté dans leur combat des hommes qui n’y consentaient pas.

La proclamation lue, il fallait faire quelque chose, mais quelle chose et par où commencer ? Déjà les troupes pourchassaient les insurgés à travers les couloirs. Encore quelques minutes, et ils seraient pris dans l’Hôtel de Ville comme dans une souricière. Se ralliant tant bien que mal, ils se jettent sur le poste Saint-Jean tout proche, et l’enlèvent aux gardes nationaux, puis courent à la mairie du septième arrondissement, rue des Francs-Bourgeois, qu’ils occupent sans coup férir. Il semble que les forces militaires elles-mêmes fassent le vide autour de ce mouvement, comme pour mieux en montrer la chétivité.

De là, on se porte vers la mairie du sixième, à l’abbaye de la rue Saint-Martin, revenant ainsi au fort naturel des précédentes insurrections, un fort toujours condamné à tomber aux mains de l’ennemi, mais où le désespoir décuple l’héroïsme de ses défenseurs. Blanqui, dont la stratégie a tout prévu, l’emplacement des barricades et jusqu’à leur épaisseur, exécute son plan et met la rue Greneta en défense.

Mais les troupes, alors, donnent avec ensemble, agissent avec autant de vigueur qu’elles ont jusqu’alors montré de circonspection. Guignot, Maillard, Barbès, sont blessés, celui-ci à la tête. On les arrête. Blanqui disparaît. La bataille est finie.

Louis Blanc juge avec sévérité la « funeste impatience » de ceux qui, « ayant plus de foi aux victoires de la force qu’aux pacifiques et inévitables conquêtes de l’intelligence, font du progrès de l’humanité une affaire de coup de main, une aventure. » En principe général, cette sévérité n’est que justice. Mais il est des moments historiques où la force seule permet à l’humanité les progrès que la force unie à la ruse s’attache à retarder.