Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/362

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D’ailleurs, quand la force mise au service d’une idée de progrès réussit-elle ? Lorsqu’elle a pour elle le sentiment public. Il faut bien le dire, Blanqui était un organisateur admirable, mais qui vivait trop loin de la foule, trop enfermé dans le cercle des impatients de justice sociale, pour en connaître les véritables sentiments. Se dire que, des barricades ayant fait la monarchie, des barricades pourront la défaire, c’est négliger, tout au moins pour l’affaire du 12 mai, qui est bien sienne, ce coefficient capital : le consentement exprès, du moins tacite, de la foule.

Or, nous avons vu le sentiment de la foule parisienne, si prompte, quand il y a motif, à entrer en ébullition. Ici elle se glace, elle s’écarte, n’ayant pas compris, n’ayant été avertie par rien. Même ceux qui sont les plus prompts à se jeter dans toute agitation populaire, même ceux-là qui ne peuvent voir remuer un pavé sans apporter aussitôt le leur, sont restés immobiles, attentifs certes, mais incertains. « Le mystère dont s’était entourée la conjuration, dit M. Thureau-Dangin, avait eu pour effet que le peuple, même dans sa fraction républicaine révolutionnaire, n’était ni moins surpris, ni moins préparé que le gouvernement. »

Mais pour le gouvernement, la surprise dura peu et ses préparatifs de défense furent d’autant plus faciles à faire que l’attaque était moins dangereuse. La fraction républicaine et révolutionnaire du peuple parisien n’était pas encore revenue de sa surprise ni sortie de son incertitude, que déjà l’insurrection n’était plus.

Insurrection ? Non. Émeute tout au plus. Échauffourée, dit même Michelet, écrivant le 22 à Quinet et lui exprimant sa joie de voir qu’elle « n’ait pas eu son contre-coup à Lyon ». Rien n’était préparé qu’à Paris, et l’ignorance en province était telle que, même parmi les républicains, on croyait les tentatives comme celle du 12 mai organisées par la police.

Dans une lettre du 12 avril, Proudhon semble assez au fait de ce qui se prépare. « Le gouvernement, écrit-il à un de ses amis de province, désirait et provoquait une collision, parce qu’il avait pris ses mesures pour écraser les perturbateurs et que, dit-on, il en avait besoin dans ce moment ; mais il n’en est pas moins certain que les sociétés secrètes ont délibéré sur l’opportunité d’une tentative. » Les « indiscrétions de quelques affiliés » qui ont cherché à l’embaucher, l’ont convaincu de la force des sociétés secrètes, qui « comptent aujourd’hui plus de quinze mille membres ». On voit, par ce chiffre, combien ceux qui cherchaient à « embaucher » le jeune philosophe déjà révolutionnaire, s’abusaient sur leur force réelle, ou l’avaient été par leurs chefs.

Car ces chefs, Proudhon ne les a pas vus. Eux ne recrutent pas. Mais, il sait que tous « les plus fameux, dont quelques-uns sont encore sous le poids d’une contumace, sont réunis à Paris », il a « vu quelques-uns de leurs ordres du jour » et n’ignore pas qu’ils attendent le « moment favorable pour tomber sur ce gouvernement de Juillet comme le chat sur la souris ». On sait ce qu’il advint de ces projets. En voici les conséquences :