Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/372

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les ouvriers de la plupart des manufactures. La véritable cause du mal, c’est donc l’insalubrité… Je crois que la commission a méconnu les principaux inconvénients auxquels il faudrait porter remède. »

Et, parlant des industries que le projet de loi laissait libres d’exploiter le travail enfantin, il ajoutait : « Que ferez-vous des manufactures dans lesquelles on travaille le plomb ? Savez-vous qu’il y a telles fabriques de plomb dans lesquelles on pourrait dire que la vie moyenne des ouvriers n’est peut-être pas de plus de deux ans. »

Le rapporteur de la loi était l’économiste Charles Dupin. Il eut peu à intervenir dans le débat. Personne ne se passionnait. Il dut cependant rappeler à Gay-Lussac l’urgence d’une loi qui vînt arrêter la dégénérescence de la race dans les régions industrielles. Il reproduisit les constatations de son rapport, replaça sous les yeux des pairs le tableau suivant :

« Pour obtenir cent hommes assez robustes pour porter les armes, il faut rejeter comme débiles, infirmes ou difformes :

« À Rouen… 170 jeunes gens de vingt et un ans ; à Elbeuf… 200 ; à Bolbec… 500 ».

Et comme une certain nombre de pairs s’étaient alarmés de l’abaissement moral signalé dans certains milieux de misère, il invoqua la réponse du bureau des manufactures à la circulaire du ministre du Commerce, citée dans son rapport : « L’immoralité des enfants semble être plus grande précisément là où ils sont reçus très jeunes dans les fabriques. »

Malgré cela, il y eut quelques opposants. Ils n’osèrent pas attaquer le principe, mais son application ; les uns, comme Humblot-Conté, demandaient que la journée de travail fût fixée à douze heures, « pour empêcher la réduction du salaire des enfants », et pour ne pas gêner le travail et réduire le salaire des ouvriers avec lesquels ils travaillaient. Les autres, comme Bourdeau, proposèrent que la loi ne fût appliquée qu’à partir de 1846, cinq ans leur paraissant un délai à peine suffisant pour que l’industrie pût se préparer au coup qui allait la frapper.

La loi, votée, s’en alla à la Chambre, où elle vint à l’ordre du jour en décembre.

La discussion, s’il est possible, y fut encore plus incolore et plus placide qu’au Luxembourg. Les orateurs de la gauche, les radicaux qui s’enflammaient si volontiers sur les questions politiques, ne voyaient point là matière à embarrasser le ministère, à passionner l’opinion publique. La presse elle-même ne fut guère plus attentive. Le journal l’Atelier, qui le croirait ! ne consacra pas même un article à la question.

La loi contenait un article 10 portant que le gouvernement établirait des inspections. Telle quelle, et si cet article avait été appliqué, elle eût pu donner des résultats. Mais, pendant longtemps, personne ne devait se préoccuper d’un détail aussi peu important.