Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/373

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La question ouvrière n’était pas dans les préoccupations de la Chambre. Arago, cependant, eut l’occasion de l’y ramener. Dans la discussion sur le régime des sucres, qui eut lieu en mai et sur laquelle nous reviendrons, un orateur, M. Gauguier, avait invoqué l’intérêt des ouvriers de l’agriculture et des fabriques de sucre. Cet argument, si fréquemment invoqué aujourd’hui, avait provoqué des clameurs, auxquelles Gauguier avait répondu ; « Vous ne voulez pas qu’on vous parle des ouvriers ; eh bien, chargez-vous de leur trouver de l’ouvrage. »

— Nous sommes chargés de faire des lois, et non pas de donner de l’ouvrage aux ouvriers.

Cette cruelle apostrophe que Sauzet laissait tomber du haut de son siège présidentiel sur le malencontreux orateur, était d’autant plus cynique, qu’à ce moment la classe ouvrière souffrait profondément d’un chômage long et douloureux, qui atteignait toutes les professions.

Quelques jours plus tard, Arago relevait à la tribune le cri du cœur échappé à Sauzet, et, dans un discours sur la réforme électorale, posait en ces termes la question sociale : « Il y a dans le pays, disait-il, une partie de la population qui est en proie à des souffrances cruelles ; cette partie de la population est plus particulièrement la population manufacturière. »

Or, ajoutait-il, le mal ne ferait qu’empirer à mesure que se développerait le nouveau régime de production. « Les petits capitaux, dans l’industrie, ne pourront pas lutter contre les gros capitaux ; l’industrie qui s’exerce avec des machines l’emportera sur l’industrie qui n’emploie que les forces naturelles de l’homme ; l’industrie qui met en œuvre des machines puissantes primera toujours celle qui s’exercera avec de petites machines. »

Quel « remède » indiquait Arago à ce « mal cruel » ? Lui qui, dans la discussion des chemins de fer, n’avait pas osé les enlever aux capitalistes, quelle solution pouvait-il proposer ? Lançant une formule qui allait être répétée sur tous les modes pendant huit ans, il affirmait la « nécessité d’organiser le travail ». Et comment ? « En modifiant en quelques points les règlements actuels de l’industrie ». » Pour rassurer les timides, il leur dit : « Vous êtes déjà entrés dans cette voie. Quand la Chambre des députés a été saisie d’une loi qui a pour objet de régler le travail des enfants dans les manufactures. »

En somme, c’était la réglementation, mais non l’organisation du travail que proposait le savant. Quant à l’organisation du travail, ou plutôt de la production et de la répartition, c’était un autre problème, et il n’avait que dédain pour « les sectes qui prétendaient l’avoir trouvé ». Il ne niait pas le problème, d’ailleurs ; son esprit était pour cela de trop haute envergure. « L’invention des machines, disait-il expressivement, amènera dans l’industrie quelque chose d’analogue à ce que la poudre a produit dans l’organisation des sociétés modernes. » Mais ce quelque chose, ni les fouriéristes, ni les saint-simoniens, ni les babouvistes, en dépit de leurs prétentions, ne l’avaient