Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/380

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Mais lorsqu’ils apprirent ce qui s’était passé et comment l’autorité réglait son attitude sur celle des entrepreneurs, les grévistes changèrent la leur. Rapidement, les chantiers se vidèrent, la plupart de bon gré et sous le coup de l’indignation légitime qu’éprouvaient les ouvriers ainsi arrêtés au moment où ils essayaient de discuter avec modération, quelques-uns sous la pression énergique des grévistes. Sur l’heure, tous les tailleurs de pierre chômèrent volontairement et mirent en interdit les chantiers où les entrepreneurs avaient fait venir des ouvriers de province. Les maçons, après une réunion tenue au Champ de Mars, se joignirent à eux, mais reprirent assez vite le travail.

Il n’en fut pas de même des autres corporations de compagnonnage, et bientôt, sur un mot d’ordre de l’Union des travailleurs du tour de France, la grève fut générale dans toutes les industries du bâtiment. C’étaient chaque jour des collisions dans la rue entre les grévistes et la police. Les prisons étaient pleines d’ouvriers. Sitôt qu’une corporation nommait des délégués ou des syndics, ils étaient incarcérés ; immédiatement on les remplaçait par d’autres camarades aussi dévoués, aussi ardents à la lutte.

Les quartiers de la porte Saint-Denis, de la porte Saint-Martin, du faubourg Saint-Antoine, de la place Maubert, du faubourg Saint-Marceau, entraient en effervescence. La garde nationale était sous les armes. Thiers appelait à Paris les garnisons environnantes, et les régiments prenaient position sur les points où l’agitation semblait la plus intense. Les Buttes-Chaumont étaient devenues le centre de l’action ouvrière, et on put croire un moment qu’elles allaient devenir le Mont-Aventin du travail.

Les membres dispersés des Saisons s’étaient réunis en société des Communistes, les uns sous l’inspiration pacifique de Cabet, qui commençait sa propagande par des conférences, les autres, en plus grand nombre, s’en séparant bientôt pour former les Égalitaires et se proclamer disciples de Babeuf et Silvain Maréchal. D’autres encore, désireux d’agir, avaient formé des Bastilles, groupes militairement organisés où un caporal commandait quatre hommes, un sergent dix, un sous-lieutenant vingt, et un lieutenant ; quarante.

Il y avait des communistes parmi les délégués des ouvriers réunis en permanence aux Buttes-Chaumont. La Hodde nous dit qu’ils « s’étaient entendus et formaient une sorte de congrès pour maintenir la résolution des ouvriers ». Dourille, un des chefs des Saisons, essaya d’entraîner cette masse exaspérée par des conflits journaliers avec une police agressive et brutale. Mais les ouvriers n’avaient pas d’autre but que d’obtenir les améliorations inscrites dans leur programme. Dourille « se sentit étouffé, dit notre policier, au milieu de la sérieuse préoccupation de ces hommes qui croyaient plaider justement pour le pain de leur famille ».

Découragé, il « ne se trouva pas de taille à donner à cette foule le signal