Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/381

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de l’irruption », et dut, lui qui était « le seul représentant de la force populaire organisée » se borner, nous dit La Hodde, « à des pourparlers avec les meneurs, essayant de prêcher des vieilleries démocratiques qui ne furent pas écoutées ». Il n’avait trouvé « rien de bon à dire dans le malentendu ».

Le policier déplace ici le malentendu. Ce n’est pas entre les ouvriers et les patrons qu’il existait, mais entre les révolutionnaires qui parlaient de république et de communisme, et les ouvriers qui répondaient travail à la journée et suppression des marchandeurs. C’était la première rencontre du socialisme et du syndicalisme, celui-ci encore impénétrable, point encore dégagé même du particularisme étroit où le compagnonnage l’avait enfermé.

Les ouvriers, dans leur masse, considérèrent les communistes du même œil qu’ils considéraient les démocrates qui leur montraient, dans le National, que la question du travail était subordonnée à la réforme électorale, aux droits politiques donnés au salarié. Pour celui-ci, ces politiciens étaient aussi peu dans la question que les politiciens révolutionnaires. Il ne voulait pas faire de politique, mais gagner un meilleur salaire, être moins exploité.

Le mouvement ouvrier demeura donc abandonné à ses propres moyens, à ses propres forces, qui, rapidement, s’épuisèrent. Les condamnations pleuvaient comme grêle, les grévistes se démoralisèrent, se disloquèrent, et bientôt le travail fut repris sur toute la ligne. Les délégués, les syndics, les présidents des corporations furent frappés de dures peines : ceux des tailleurs, l’un à cinq ans de prison et dix ans de surveillance, un autre à trois ans de prison et cinq ans de surveillance ; parmi ceux des menuisiers, il y en eut un qui fut frappé de deux ans de prison et deux ans de surveillance. Pour les tailleurs de pierre, les serruriers, les cordonniers, les ébénistes, pour tous enfin, la sévérité envers les « meneurs » fut implacable. Les autres s’en tiraient avec des peines variant de trois mois à quinze jours. Il y eut peu d’acquittements pour les accusés qui défilèrent, par douzaines et par vingtaines, devant la sixième chambre correctionnelle.

Cette dure répression put mettre fin à la grève, mais elle créa des liens de solidarité entre les persécutés, dont les groupes sortirent à ce moment du particularisme borné qui leur ôtait presque tous les avantages de l’association. Ils comprirent la vanité de l’esprit corporatif et, tout en défendant entre eux leurs intérêts respectifs de tailleurs, de serruriers ou de charpentiers, ils apprirent à défendre en même temps ceux de la classe ouvrière tout entière.

À l’imitation de ce qui s’était fait à Lyon dix ans auparavant, quelques ouvriers fondèrent, à la fin de septembre 1840, un journal qu’ils nommèrent expressivement l’Atelier, et qui fut rédigé exclusivement par des ouvriers. Buchez, qui avait quitté le saint-simonisme dès les premières divagations d’Enfantin, était leur inspirateur, et il travaillait de toute son ardeur à les