Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/385

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leur position. Les livrets ne peuvent donc leur plaire, mais ils sont précieux pour les maîtres ».

Bien que l’objet principal des collaborateurs de l’Atelier soit l’organisation du travail par l’association, ils n’en traitent pas moins avec soin et ponctualité les poignantes questions que la misère et la servitude de l’ouvrier mettent en permanence à l’ordre du jour. Ils savent qu’avec la législation hostile qui leur interdit tout mouvement, les travailleurs tenteraient en vain de réaliser ce programme. Aussi, en même temps que des modèles de statuts pour sociétés ouvrières, publient-ils des articles sur la réforme du compagnonnage, sur la liberté de coalition et d’association, sur la fixation d’un minimum de salaire.

Ils n’étaient pas pressés, nous dit Corbon, dans le Secret du peuple de Paris, d’appliquer leur programme intégral. Leur groupe « semblait avoir conscience de réaliser un système qui exigeait tant d’abnégation et d’efforts soutenus. La preuve, c’est qu’il ne fit pas de grands efforts pour prêcher l’exemple. J’en sais quelque chose ». On montrait, en somme, l’idéal aux ouvriers pour les tenir en haleine ; mais on s’occupait surtout de les habituer à se défendre eux-mêmes, à acquérir la notion de leur valeur économique et à développer leur valeur sociale.

La recrutement militaire, avec l’ignoble système d’exonération par remplacement, fait peser sur le prolétariat une servitude et une humiliation, dénoncées par l’Atelier. Deux forces président à l’enrôlement des prolétaires dans l’armée : la force de la loi pour ceux qui sont tombés au sort ; la force de l’argent, libératrice du riche, pour ceux qui manquent de travail et de pain et sont contraints de vendre leur sang.

La réforme électorale, qui substituera la nation tout entière aux deux cent mille électeurs censitaires qui nomment les députés, est avec l’association, le sujet sur lequel l’Atelier revient le plus fréquemment. Fort justement ses rédacteurs aperçoivent que nulle réforme sociale ou économique ne pourra être obtenue de ce « pays légal » dont l’intérêt est diamétralement opposé à celui des salariés. Que la démocratie soit, d’abord, avant tout : elle saura bien ensuite libérer le travail des lois qui l’entravent, lui en donner qui le soutiennent et, pour le reste, l’initiation des travailleurs, aidée par l’éducation morale, civique et économique que leur donne le journal, fera le reste, c’est-à-dire l’émancipation par l’association.

Ce programme suscitait de quotidiennes polémiques avec les phalanstériens et les communistes, les premiers comptant sur l’association sans le secours des lois ni du pouvoir, les seconds ne comptant que sur le pouvoir, conquis par douceur ou violence, pour établir la communauté des biens. Non seulement les rédacteurs de l’Atelier se défendaient, justifiaient leur méthode et leur système, mais encore ils reprochaient austèrement aux disciples de Fourier leur glorification des passions. Quant au communisme, ils lui objectaient