Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/384

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politique ! Mais il ne peut faire paraître que douze numéros par an, et c’est une privation pour l’ouvrier que de débourser les trois francs de l’abonnement.

Mais il en fait, de la politique, il inaugure la politique syndicale, il dénonce les lacunes et les inégalités voulues d’une législation de classe. On discute en ce moment la loi des prud’hommes. Il déclare se désintéresser de la discussion d’une loi où nul ne demande que les ouvriers soient admis à siéger, d’une loi qui, avec ses patrons d’un côté et ses chefs d’atelier de l’autre, n’est qu’une annexe du tribunal de commerce.

Parfois, cependant, il se risque à une critique des actes du ministère et de la soumission des Chambres à ses volontés. C’est ainsi que dans la crise de 1840, il dit qu’on « les a invités à prêter leur concours au maintien de la paix. Et (nous n’en avions pas douté un seul instant) elles ont accepté ce rôle humiliant ». Le rédacteur de l’Atelier parle ici comme un rédacteur du National ; on sent qu’il partage tous les préjugés belliqueux du moment.

Mais en voici un autre un peu moins épris de gloire. Thiers a proposé aux Chambres de redemander aux Anglais les cendres de Napoléon. L’Atelier y consent volontiers, tout en disant que cet hommage ne va pas au « restaurateur de la noblesse », au « conquérant ambitieux », mais « surtout » à « la France révolutionnaire ». Pourquoi lui faut-il ajouter : « Napoléon, pour l’étranger et pour nous, c’est la révolution incarnée, » et suivre ainsi le courant qui entraînera, dix ans plus tard, le consentement des masses ouvrières à la restauration napoléonienne ?

Le ton de l’Atelier était mesuré et courtois, même quand il protestait contre l’arrestation d’ouvriers pour délit de grève, et il félicitait Lamennais « des conseils au calme et à la modération » qu’il avait donnés aux ouvriers serruriers et mécaniciens. Proudhon a critiqué « ces rédacteurs en gants jaunes » ; leur protestation est digne et sans colère. Ils veulent prouver que la classe ouvrière mérite les libertés qu’ils demandent pour elle, avec une ferme égalité d’esprit et de paroles.

Dès les premiers temps de sa publication, le journal ouvrier entreprit de fort intéressantes enquêtes professionnelles, qui sont les premières ébauches des monographies sur lesquelles Le Play fondera plus tard l’étude de l’économie sociale. On y trouve aussi une intéressante campagne sur le livret, dont les abus viennent d’être mis en lumière par les grèves récentes. Parmi les opinions patronales recueillies par l’Atelier sur l’institution abhorrée des ouvriers, en voici une qui a le mérite de la franchise.

Pour M. Delahaye-Martin, président des prud’hommes d’Amiens, « les ouvriers sont presque tous insolvables ; ils n’ont que leur travail pour répondre de leurs actes. Cette ressource serait insaisissable s’ils pouvaient en disposer quand et envers qui bon leur semble. Les livrets sont une mesure de haute prudence, au moyen de laquelle les ouvriers ne peuvent dissimuler