Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/39

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

pourtant à la subalternité et partout, dans l’Europe ; chrétienne, nous les voyons encore frappées d’interdiction religieuse, politique et civile.

« Les saint-simoniens viennent annoncer leur affranchissement définitif, leur complète émancipation, mais sans prétendre pour cela abolir la sainte loi du mariage proclamée par le christianisme ; ils viennent au contraire pour accomplir cette loi, pour lui donner une nouvelle sanction, pour ajouter à la puissance et à l’inviolabilité de l’union qu’elle consacre.

« Ils demandent, comme les chrétiens, qu’un seul homme soit uni à une seule femme, mais ils enseignent que l’épouse doit devenir l’égale de l’époux ; et que, selon la grâce particulière que Dieu a dévolue à son sexe, elle doit lui être associée dans l’exercice de la triple fonction du temple, de l’État et de la famille, de manière à ce que l’individu social qui, jusqu’à ce jour, a été l’homme seulement, soit désormais l’homme et la femme.

« La religion de Saint-Simon ne vient mettre fin qu’à ce trafic honteux, à cette prostitution légale, qui, sous le nom de mariage, consacre si fréquemment aujourd’hui l’union monstrueuse du dévouement et de l’égoïsme, des lumières et de l’ignorance, de la jeunesse et de la décrépitude.

« Telles sont les idées les plus générales des saint-simoniens sur les changements qu’ils appellent dans la constitution de la propriété et dans la condition sociale des femmes… »

Telles étaient, en effet, à ce moment-là, les idées des saint-simoniens sur la propriété et le mariage. Nous verrons par la suite que celles relatives au mariage ne devaient pas tarder à se modifier profondément sous l’impulsion d’Enfantin et malgré les efforts contraires de Bazard, qui fut réduit à se retirer en protestant contre l’immoralité de la nouvelle doctrine.

La protestation des saint-simoniens passa inaperçue. La Chambre était tout à la proposition de Destutt de Tracy, portant abolition de la peine de mort. Certes, le philosophe, dont la proposition attendait depuis deux ans qu’on voulût bien la discuter, ne fut pas peu surpris de la faveur qu’elle trouvait soudainement auprès de ses collègues. Il avait bien été décidé que les ministres de Charles X seraient traduits devant la cour des pairs, mais on n’entendait pas que la répression du crime de lèse-nation commis par le prince de Polignac et ses collègues allât jusqu’à dresser l’échafaud, la Chambre se prit donc d’un subit amour pour la proposition de Destutt de Tracy.

Étranger aux contingences politiques, guidé uniquement par les principes de la philosophie du dix-huitième siècle, d’autant plus résolu d’autre part à défendre sa proposition qu’il avait été un adversaire irréductible de la Restauration, Destutt de Tracy profita de ses avantages et, par la presse, tenta d’intéresser l’opinion à la grande réforme qu’il projetait.

La partie active et militante de la population parisienne prit à rebours la proposition et ne voulut y voir que ce qu’y voyait en effet la majorité de la Chambre : un moyen d’épargner le châtiment aux ministres qui avaient fait tirer sur le peuple