Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/40

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Dans les clubs et dans les groupes, le sophisme, le sophisme démagogique fit ses ravages, par la faute même de la Chambre. On la montra, avec grande raison d’ailleurs, empressée à détruire l’échafaud, non parce qu’elle réprouvait la peine de mort, mais pour y soustraire des hommes riches et titrés.

L’adresse de la Chambre au roi, l’invitant à supprimer la peine de mort, mit le feu aux poudres. Des manifestations violentes eurent lieu, notamment le 17 octobre, au cri sinistre de : « Mort aux ministres ! » La garde nationale eut beaucoup de peine à les disperser, car sur ce point elle était d’accord avec la foule, et elle tenait à ne pas employer la violence. Arago, très populaire, essaya de calmer les furieux : « Nous sommes de la même opinion, leur disait-il. — Ceux-là, lui répondit-on, ne sont pas de la même opinion, dont l’habit n’est pas de la même étoffe. »

Le lendemain, la foule, au comble de la surexcitation, se porte sur Vincennes, où sont détenus les anciens ministres. La popularité de Daumesnil, gouverneur du château, a plus de succès que celle d’Arago. Les manifestants reviennent à Paris et se dispersent, non sans avoir violemment manifesté contre le roi, devant le Palais-Royal, qu’il n’a pas quitté encore pour les Tuileries.

Cet incident ne contribua pas pour peu à la crise ministérielle qui éclata quelques jours après. Guizot et ses collègues de la résistance. Molé, Dupin, le duc de Broglie, Casimir Périer et le baron Louis, se retiraient du ministère, en feignant d’être exaspérés par les complaisances que leurs collègues libéraux montraient pour l’émeute.

Mais les hommes de la résistance ne partaient pas sans esprit de retour. Ils partaient même afin de pouvoir revenir, car ils sentaient qu’ils s’useraient rapidement à résister aux derniers soubresauts de l’agitation révolutionnaire, et ils préféraient laisser cette tâche ingrate et périlleuse aux libéraux purs. Si libéraux qu’ils fussent, ils seraient obligés de maintenir l’ordre dans la rue ; d’autre part, ils craignaient trop les républicains pour laisser les choses aller bien loin dans le sens de l’action populaire. Les laisser seuls aux prises avec les responsabilités du pouvoir était une manœuvre indiquée par les événements eux-mêmes ; elle fut d’ailleurs conseillée ouvertement par le Journal des Débats.

Le 2 novembre, donc, Laffitte prit la présidence du Conseil. Immédiatement, et afin de manifester ses sentiments en faveur de la résistance, la Chambre donnait à Casimir Périer, un des ministres démissionnaires, le fauteuil de la présidence que Laffitte avait occupé depuis la révolution. Le ministère qui allait avoir en face de lui une telle majorité était-il au moins homogène ? Non, puisqu’il contenait des conservateurs inféodés à la personne de Louis-Philippe, tel le comte de Montalivet, et au moins un républicain, Dupont (de l’Eure), qui, sur la suppression du timbre et du cautionnement des journaux, votait contre ses collègues du ministère.

Le procès des ministres de Charles X eut lieu au Luxembourg, devant la Chambre des pairs érigée en Cour de justice. L’audience s’efforçait de rester calme ; mais, selon le mot de Victor Hugo, on entendait rugir le peuple dehors. Cet achar-