Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/396

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Tandis que cette politique se déroulait dans les assemblées parlementaires, un jeune écrivain, Alphonse Karr, écrivait dans ses premières Guêpes : « Dans le quartier du quai aux Fleurs, une pauvre vieille femme est morte de faim. Dans un pays civilisé, on ne doit pas mourir de faim. Qui donc, parmi nos députés, trop retenus dans les intérêts occultes qu’ils ont dans l’exploitation des grosses affaires, montera à la tribune crier : « Une femme est morte de faim en plein Paris ! »

Cet appel poignant peut encore être lancé aujourd’hui ; mais du moins commence-t-il à trouver un écho à la tribune. Ne soyons pas trop fiers, cependant : La loi d’assistance aux vieillards et aux infirmes est d’hier à peine, et nous n’avons encore ni les retraites ouvrières, ni la protection du travail de la femme et de l’enfant à domicile, ni l’assurance contre le chômage.

Thiers allait-il donc être écarté de la grande politique, passerait-il donc au pouvoir sans frapper l’opinion de ces grands coups qui l’impressionnent, et la conquièrent et l’enchaînent ? Allait-il, à la veille des vacances parlementaires, au moment où le public juge un passé encore chaud d’actualité, laisser un vernis suspect sur sa réputation déjà fort entamée et consacrer le renom qu’il avait d’être apte surtout à faire ses propres affaires ? Son patriotisme prudemment agressif, sa façade de libéralisme napoléonien, le faux semblant de dignité nationale qui l’avait fait se mêler avec tant de joie, et par les moyens policiers qu’on sait, aux besognes de la diplomatie internationale, allait-il faire une piteuse faillite !

L’occasion de contenter à la fois Louis-Philippe et l’opinion moyenne, en cimentant l’alliance anglaise et en donnant satisfaction aux rêves et aux souvenirs de gloire qu’il allait lui-même bercer dans son Histoire du Consulat et l’Empire, cette occasion lui fut-elle imposée, comme semble le croire Elias Regnault par une démarche d’O’Connel, le grand agitateur irlandais, auprès de Palmerston, ou bien, comme l’affirme M. Thureau-Dangin, eut-il le mérite de demander de lui-même à l’Angleterre la restitution à la France des cendres de Napoléon ? Pour M. Thureau-Dangin, la version d’Elias Regnault a été « évidemment inventée par les républicains pour diminuer aux yeux des patriotes l’initiative du gouvernement de Juillet ». Il n’a d’ailleurs rien trouvé dans les documents français et anglais qui confirme cette version ; tout, au contraire, la contredit.

En rapportant que Thiers s’était décidé à réclamer les cendres de Napoléon seulement parce que le premier ministre anglais l’avait avisé du projet formé par O’Connel d’inviter au Parlement le gouvernement britannique à rendre à la France les restes de Napoléon, Elias Regnault, en tout cas, n’a été nullement mû par le désir de diminuer l’initiative du gouvernement, car, tout en ménageant le sentiment public, il ne se gêne pas, dans son Histoire de Huit Ans, pour faire écho au National, et déclarer que le tombeau de Napoléon serait mieux placé à Saint-Hélène qu’aux Invalides.