Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/405

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D’ailleurs, la France était engagée. Sa situation méditerranéenne la mettait forcément en antagonisme avec l’Angleterre. Elle possédait Alger, malgré le mauvais vouloir de celle-ci en 1830. La Grèce était sa protégée, les régions catholiques du Liban également. L’Égypte devait sa prospérité économique aux capitaux français. Autant d’obstacles à la puissance maritime de l’Angleterre.

D’autre part, Berryer était dans le vrai lorsqu’il montrait en ces termes la nécessité pour la France de ne rien abandonner de ce domaine territorial et d’influence : « Que deviendront, disait-il, toutes les productions que vous excitez dans la France ? Cette immense machine à vapeur, ainsi mise en mouvement, ainsi chauffée par le génie, par l’activité, par l’intérêt de tous, ne fera-t-elle pas une terrible explosion, si les débouchés ne sont pas conquis ? »

Voilà le mot prononcé : les débouchés. C’était pour assurer le libre commerce de l’opium, pour avoir monopole d’empoisonner quatre cents millions d’hommes, que l’Angleterre, dans le même moment, bombardait les ports chinois. Pour assurer une clientèle à ses producteurs, la France devait garder la haute main sur l’Égypte et sur la Syrie. Pour les mêmes raisons, sa concurrente agitait l’Europe et allait la coaliser contre nous.

Mais ce n’était pas par la force que la France pouvait espérer conserver et accroître ses avantages en Orient. Le langage belliqueux qui retentissait fréquemment à la tribune, et qui était en si profond désaccord avec la politique de Louis-Philippe, ne pouvait qu’exciter l’Angleterre et lui fournir des prétextes contre nous. Un ambassadeur à Constantinople un peu plus habile, et surtout plus fidèle aux indications que lui donnaient les événements eux-mêmes, eût bien mieux valu que les récriminations parlementaires dont Metternich s’emparait pour détacher de notre alliance incertaine la diplomatie anglaise.

Nous avions à Londres, en la personne du premier ministre, Palmerston, un ennemi irréductible. Autoritaire et peu scrupuleux, il avait toutes les qualités qui firent, il y a quelques années, la fortune de M. Chamberlain. Tenace et audacieux, sans cesse entretenu en belle humeur par une absolue confiance en lui-même, dédaigneux de tous les obstacles, et ses propres déclarations de la veille n’en étaient pas pour lui, habitué à malmener un Parlement docile, sourd aux conseils timorés de ses collègues, cachant une réelle adresse sous une apparente imprudence de casse-cou, doué d’une incroyable puissance de travail, il devait battre Louis-Philippe doublé de Talleyrand, puis de Guizot.

Le roi, en effet, n’avait osé ni suivre l’Angleterre en 1833, ni se servir des puissances du Nord pour la contenir en 1839. Et lorsque Metternich avait proposé la réunion d’une conférence, et brusquement présenté à la signature des puissances une note en ce sens, il avait consenti à régler avec l’Europe une question qui eût pu se régler sans elle, s’il eût eu un peu plus de décision, et surtout de suite dans les desseins.

Le 27 juillet 1839, les ambassadeurs des grandes puissances avaient