Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/406

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donc remis au gouvernement turc la note suivante : « Les soussignés, conformément aux instructions de leurs gouvernements respectifs, ont l’honneur d’informer la Sublime-Porte que l’accord entre les cinq grandes puissances sur la question d’Orient est assuré, et qu’ils sont chargés de l’engager à s’abstenir de toute délibération définitive sans leur concours et à attendre l’effet de l’intérêt qu’ils lui portent. »

C’était interdire au sultan de traiter avec Méhémet-Ali. C’était du coup fermer toute espérance à la France, obliger celle-ci à ne plus compter que sur le bon vouloir de la Russie, de l’Autriche et de la Prusse, pour amener l’Angleterre à reconnaître le pouvoir de Méhémet-Ali. La Russie accepta la réunion d’une conférence parce que, comme l’Autriche et la Prusse, elle y voyait le moyen de désunir la France et l’Angleterre. Les trois puissances absolutistes devenaient ainsi les arbitres du conflit caché qui ’opposait la France et l’Angleterre.

Et précisément, à l’instigation de l’Angleterre, la France venait de diminuer ses chances en arrêtant l’armée victorieuse d’Ibrahim. Il est certain qu’une marche de celui-ci sur l’Asie-Mineure eût fait avorter toute réorganisation du concert européen, puisqu’alors la Russie, en vertu du traité d’Unkiar-Skelessy, se fût portée au secours de la Turquie. Et, en même temps, la France mettait le comble à l’irritation anglaise, en plaçant en quelque sorte sous sa protection la trahison du capitan-pacha, qui livrait à Ibrahim la flotte turque. Une telle incohérence devait fatalement être funeste à notre pays.

Arrivé au pouvoir le 1er mars 1840, Thiers fut informé des sentiments de l’Angleterre par Cuizot qui, en sa qualité d’ambassadeur de France à Londres, prenait part aux conférences entre les représentants des cinq puissances. Thiers joua son unique carte, qui était d’obtenir une entente directe entre le jeune sultan et son vassal. Il emporta un premier avantage par la destitution du grand-vizir, Kosrew-Pacha. Il était sur le point de gagner la partie, et le sultan allait reconnaître par un firman la souveraineté héréditaire de Méhémet-Ali sur l’Égypte et la Syrie, lorsque le gouvernement anglais, averti par lord Ponsonby, mit tout son œuvre pour faire avorter l’affaire.

Il suscita dans le Liban, à prix d’argent, des émeutes contre le gouvernement de Méhémet-Ali et fit représenter au sultan par lord Ponsonby, qui grossit ces incidents dans le récit qu’il en fit, l’imprudence qu’il y aurait à reconnaître un pouvoir dont les peuples de Syrie allaient se débarrasser d’eux-mêmes pour se replacer sous l’autorité de leur souverain légitime. En même temps qu’il agissait ainsi en Orient, Palmerston pressait à Londres les ambassadeurs d’en finir, s’ils ne voulaient pas se trouver en face d’un fait accompli, c’est-à-dire d’un traité directement conclu entre l’Égypte et la Turquie, à l’instigation et au profit de la France.

Le tzar et le nouveau roi de Prusse, Frédéric-Guillaume IV, dans leur passion absolutiste, étaient heureux de jouer un mauvais tour à la France, de l’iso-