Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/41

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nement de la foule attriste le poète, et, dans son Journal d’un révolutionnaire de 1830, il trace ces lignes où se peint le désarroi de sa pensée :

« Ne demandez pas de droits pour le peuple tant que le peuple demandera des têtes. »

Aussi propose-t-il qu’avant de donner au peuple des droits qu’il tourne contre l’humanité, on commence par l’instruire. « Il faut, dit-il, faire faire au peuple ses humanités. »

Le peuple de 1848 ne sera guère plus instruit que celui de 1830. Pourtant son premier geste, avant même d’avoir déblayé les barricades, sera de renverser l’échafaud. C’est qu’en 1848 le peuple était souverain. Tandis qu’en 1830, il avait été remis aussitôt à la chaîne. Quoi d’étonnant à ce qu’il se conduisît en esclave et qu’il substituât les saturnales de la servitude aux généreux élans de la liberté !

Que dire de ce procès ? M. Thureau-Dangin affirme que l’accusation fut âpre, mais boursouflée, et que la défense fut grandiose et pathétique. Louis Blanc me paraît plus impartial lorsqu’il constate qu’accusateurs et accusés n’apportaient « ni dignité ni bonne foi », les uns et les autres rabaissant ce drame à une querelle de procureurs.

Victor Hugo ici suggère l’interprétation que, dix ans plus tard, Louis Blanc donnera de ce débat. Voici, en effet, les réflexions qui lui viennent et qu’il trace au cours même des incidents :

« J’ai assisté à une séance du procès des ministres, à l’avant-dernière, à la plus lugubre, à celle où l’on entendait le mieux rugir le peuple dehors. J’écrirai cette journée-là.

« Une pensée m’occupait pendant la séance : c’est que le pouvoir occulte qui a poussé Charles X à sa ruine, le mauvais génie de la Restauration, ce gouvernement qui traitait la France en accusée, en criminelle, et lui faisait sans relâche son procès, avait fini, tant il y a une raison intérieure dans les choses, par ne plus pouvoir avoir pour ministres que des procureurs généraux. Et, en effet, quels étaient les trois hommes assis près de M. de Polignac comme ses agents les plus immédiats ? M. de Peyronnet, procureur général ; M. de Chantelauze, procureur général ; M. de Guernon-Ranville, procureur général.

« Qu’est-ce que M. Mangin, qui eût probablement figuré à côté d’eux si la révolution de juillet avait pu se saisir de lui ? Un procureur général ! Plus de ministre de l’intérieur, plus de ministre de l’instruction publique, plus de préfet de police, des procureurs généraux partout. La France n’était plus ni administrée, ni gouvernée au conseil du roi, mais accusée, mais jugée, mais condamnée.

« Ce qui est dans les choses sort toujours au dehors par quelque côté. »

Avant le prononcé de la condamnation, Montalivet, substituant la troupe à la garde nationale, enleva les ministres au nez de la foule surprise et les transporta au château de Vincennes, au grand trot d’un escadron. L’arrêt les condamna à la détention perpétuelle, aggravée de la mort civile pour le prince de Polignac.

La garde nationale, qui partageait les sentiments de la foule contre les mi-