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l’autorité à tout prix. L’émeute prit bientôt des proportions telles que le préfet dut s’enfuir. Un commissaire extraordinaire fut envoyé de Paris, on emplit la ville de troupes et la terreur ramena le calme. La municipalité et la garde nationale de Toulouse furent dissoutes.

Il resta de cette agitation une violente animosité de la bourgeoisie des villes contre le régime ; et partout où le recensement avait été fait avec la partialité que nous avons dite, les propriétaires, frappés dans leurs intérêts, passèrent à l’opposition.


CHAPITRE II

LES CONSERVATEURS-BORNES


L’élection de Ledru-Rollin ; son programme « socialiste » — L’attentat Quénisset : un procès de complicité morale. — La convention du droit de visite et la réforme électorale. — Les chemins de fer devant la Chambre. — Un discours de Thiers sur les chemins de fer. — La loi d’expropriation et les intérêts capitalistes. — Les élections générales du 9 juillet 1842. — Mort du duc d’Orléans.


Le 23 juin 1841, Garnier-Pagès était mort, à peine âgé de quarante ans. Les démocrates ressentirent vivement cette perle, qui les privait d’un orateur parlementaire d’une activité et d’une éloquence redoutables pour le pouvoir. Son frère fut jugé trop jeune pour être présenté aux électeurs du Mans. Les uns songeaient à présenter Michel (de Bourges), d’autres plus modérés soutenaient dans les conseils du parti la candidature de Ledru-Rollin. Celui-ci l’emporta, malgré la résistance des rédacteurs du National, et tous eurent le profond étonnement, lorsqu’il fit sa profession de foi aux électeurs, de trouver en lui un radical nettement accentué.

Dans la Grèce de Samarez, Pierre Leroux ne nous donne pas tout le secret de l’évolution qui s’accomplit alors en Ledru-Rollin, mais nous raconte comment il fut amené lui-même à rédiger le programme du candidat des démocrates. « Je me rappelle, dit-il, le jour où Démosthène Ollivier vint aux Batignolles me demander de faire un programme — un programme socialiste, entendez-vous ! — pour Ledru-Rollin qui allait se présenter au Mans, où Ici socialistes avaient des partisans… Je fis bien quelques difficultés ; j’avais je ne sais quels pressentiments. Enfin, je cède, j’écris un programme. Ledru l’emporte, brode dessus un discours, et il est nommé. »

Ce discours prononcé par un orateur qui avait un tempérament de tribun et en possédait tous les moyens extérieurs : taille avantageuse, physionomie belle, voix puissante, entraîna les électeurs, qui lui donnèrent l’unanimité moins quatre voix, tant est grande l’action de la parole sur les foules.