Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/453

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du ministre des Travaux publics, qui était Teste, l’ancien libéral, frère du vieux républicain communiste ami de Voyer d’Argenson et de Buonarotti. Les complaisances du ministre pour certaines compagnies, sans être suspectes encore, avaient paru excessives, même à la Chambre, qui n’avait pas ratifié la concession demandée par la Compagnie du Nord et qui assurait à cette compagnie quatorze à quinze millions de revenu net annuel pendant quarante ans pour une avance de soixante millions. Ce qui, avec les débours faits pour la construction de la voie, les indemnités d’expropriation, l’intérêt du capital engagé, le remboursement du matériel à la compagnie à la fin de l’exploitation, représentait pour l’État une dépense totale de neuf cents millions.

Tandis que le National et la Phalange protestaient contre un marché aussi onéreux pour le public, les Débats s’écriaient : « Il est évident pour tous les gens sensés que M. de Rothschild sollicite le privilège de se ruiner. » Les Chambres eurent plus de pudeur, et dans le traité définitif, la Compagnie du Nord dut accepter de rembourser à l’État les frais de construction de la voie et de renoncer à la clause du remboursement du matériel. Malgré ces concessions, M. de Rothschild ne se ruina point, cependant ; deux ans après, les actions s’élevaient de cinq cents à huit cents francs.

Pour le chemin de fer d’Avignon à Marseille, Talabot, le concessionnaire choisi par le ministre, fut agréé, bien qu’une compagnie rivale eût présenté sa soumission et demandé qu’elle fût examinée contradictoirement avec celle de la compagnie Talabot par une commission de la Chambre. Teste ne présenta à la Chambre que le projet Talabot, et la Chambre ratifia.

Les choses n’allèrent point aussi facilement pour la ligne d’Orléans à Tours. Un capitaliste anglais, nommé Barty, fortement appuyé par lord Aberdeen auprès de Guizot et par lord Cowley auprès du ministre des Travaux publics, avait demandé la concession de cette ligne. Il chargea de ses intérêts, à Paris, Edmond Blanc, qui était au mieux avec les ministres et dînait fréquemment avec eux, et s’en alla à Londres réunir les capitaux nécessaires à une entreprise qu’il était d’autant plus sûr d’obtenir que, le 30 septembre 1842, Teste lui avait écrit : « Vous pouvez hâter la conclusion en rapportant dans le plus court délai la ratification des honorables capitalistes anglais. »

Muni de cette lettre, il trouva facilement à Londres les capitaux nécessaires, d’autant que son mandataire, Edmond Blanc, lui adressait de Paris une lettre où se lisaient ces lignes : « Ce matin, le ministre m’a fait dire qu’il était impatient de vous voir, qu’il vous attendait pour signer le bail, et qu’il voulait présenter le projet avant quinze jours, qu’il tenait à ce que votre concession fût approuvée et autorisée la première ; qu’enfin il avait, jusqu’à ce jour, repoussé toutes les propositions rivales qui lui avaient été faites. »

La société constituée, Barty revient à Paris et apprend que le ministre