Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/472

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Il n’eût pu la rompre d’ailleurs qu’en se résignant à être un état-major sans soldats, puisque c’était dans la classe ouvrière que se trouvait l’armée de la démocratie. Le National, agissait donc sagement en refusant de se séparer de la fraction la plus nombreuse et la plus active de la démocratie. C’est elle, au contraire, qui allait bientôt se séparer de lui et porter ses sympathies à un journal qui mettrait les questions sociales au premier plan et appellerait toutes les fractions du parti démocratique à exposer leurs idées dans ses colonnes.

Ce journal, qui devait être l’organe des six millions d’hommes « qui vivent en ilotes dans leur propre patrie », parut en 1843 sous le titre de la Réforme. Ses directeurs étaient Grandménil, qui mettait toute sa fortune dans l’entreprise, Baune, l’ancien chef du parti républicain à Lyon, et Flocon, un ancien sténographe de la Chambre. Dans le comité de direction qui leur était adjoint figuraient Étienne Arago, qui ne donna que son nom, Ledru-Rollin, Dupoty, Louis Blanc, Lamennais, Schoelcher, Pascal Duprat et quelques autres. Cavaignac fut le rédacteur en chef, secondé par Ribeyrolles.

Tandis que le National se vouait surtout à l’opposition, la Réforme tendait surtout à être un organe de propagande démocratique et sociale. Dans le nouveau journal, dont plusieurs rédacteurs se déclaraient ouvertement socialistes, Flocon publiait des articles sur le droit au travail : « La société, disait-il, qui veut qu’on travaille, qui l’exige sous peine de prison, ne devrait-elle pas être forcée de donner de l’ouvrage à ceux qui en manquent, sous peine d’inconséquence et d’absurdité. »

Louis Blanc et Pecqueur publiaient fréquemment dans la Réforme, des critiques contre l’individualisme économique, les prétendus bienfaits sociaux de la concurrence, l’immoralité de l’économie politique et de ses doctrines d’abstention de l’État. Mais les doctrinaires du communisme absolu, révolutionnaire ou modéré, se tenaient à l’écart, ainsi que les phalanstériens, qui d’ailleurs avaient, eux, leur journal quotidien.

Il y avait, en somme, du National à la Réforme, la différence qui exista, il y a quelques années, entre les opportunistes et les radicaux. Le National voulait bien appeler les ouvriers à la démocratie, mais sans effrayer les bourgeois républicains. La Réforme portait au contraire tout son effort de propagande sur la classe ouvrière et tâchait de la détacher des systèmes communistes et d’entraver la propagande phalanstérienne. Mais, tout comme le National, elle subordonnait les réformes sociales à la réforme politique essentielle, au suffrage universel. En 1843, une polémique s’éleva, où la Réforme réagit vigoureusement, à propos de l’achèvement des fortifications de Paris, contre le chauvinisme agressif du National ; elle ne prit fin que sur les démarches conciliatrices de Louis Blanc.

Les socialistes et les ouvriers coopérateurs n’étaient pas plus d’accord entre eux que les républicains. La formule du droit au travail lancée par Considérant était très vivement critiquée par les rédacteurs de l’Atelier