Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/473

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui lui reprochaient « de ne conclure à aucun changement de la condition des travailleurs ». Elle n’eût pas été vague si les socialistes, au lieu de s’attacher presque exclusivement à construire en esprit et à réaliser en fait un univers nouveau, avaient porté davantage leurs soins à exiger une législation protectrice du travail, de la santé, du salaire des travailleurs et, d’autre part, avaient pu les organiser corporativement pour leur éducation sociale mutuelle. Mais le cens politique pesait de tout son poids sur les prolétaires, les maintenait dans l’état de dispersion favorable à l’exploitation de leur travail.

Proudhon, à son dire, était regardé par les communistes « comme une espèce particulière d’aristocratie » et ils le jugeaient « déjà trop savant pour eux ». Puisque sa diplomatie n’a pas réussi à grouper les socialistes en faisceau unique, il va s’attacher à ruiner leurs doctrines diverses, et il s’y emploiera avec toute sa violence, avisée et éloquente à la fois, de solitaire bourru qui ne doit de ménagements à rien ni à personne. Il fut cependant un temps où, parlant des « diatribes de Lamennais et compagnie », il écrivait avec tristesse à son ami Bergmann : « On ne comprend plus en France que l’invective, la personnalité, l’injure ; on s’abreuve de calomnies, de fiel et de salive : ce sont les formes de la pensée ».

Puisque c’est ainsi qu’il faut parler pour se faire comprendre, Proudhon se mettra au diapason, et l’élèvera même de quelques tons. Tout en créant, comme il dit, « une méthode d’investigation pour les problèmes sociaux et psychologiques comme les géomètres en créent pour les problèmes de mathématiques », il frappera de rudes coups à droite et à gauche, ne respectant pas plus les préjugés révolutionnaires que les préjugés conservateurs.

A un ami qui lui reproche ses violences, il avoue qu’elles sont un procédé. En bon Franc-Comtois avisé, il utilise son tempérament combatif, au lieu de s’y livrer aveuglément. « Je sais, dit-il à cet ami, qu’on me reproche de faire trop le bourreau des crânes dans ma polémique ; mais, avec un peu de réflexion, on verrait que ce n’est là qu’une tactique, une manière comme une autre de faire valoir mes raisons. »

Oubliant qu’il a dit le contraire un an auparavant, il ajoute : « Et puis, il y a tant de mollesse, de lâcheté, de papillotage dans les critiques d’à présent, qu’il est nécessaire d’avoir un cuisinier qui mette un peu de vinaigre et de citron dans ses sauces. » Nous allons voir qu’il y en a mis beaucoup.

D’ailleurs, fort de sa conviction et de son talent, il s’écrie : « Qu’on me fasse comme je fais aux autres, je ne demande pas mieux ; pour tous mes coups de lance, je n’ai pas encore reçu une égratignure. Cela me contrarie. » En attendant que la massue de Marx vienne répondre à ses coups de lance et le jeter pour quarante ans dans un injuste oubli, voyons-le s’escrimer contre les phalanstériens.

Visant à la tête, il propose une polémique à Considérant. « Serait-il dis-