Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/497

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Que pouvaient faire, aussi, les directeurs de journaux et de revues d’un écrivain qui, sans souci de la mode et des courants d’opinion, ne songeait qu’à exprimer les pensées dont son cerveau bouillonnait ! Un jour, n’imagine-t-il pas d’apporter à Buloz, directeur de la Revue des Deux Mondes, un article sur Dieu. Car tous les novateurs sociaux de l’époque étaient déistes, fondaient sur la notion de Dieu et parfois sur une religion leur construction sociale.

— Un article sur Dieu ! s’écria Buloz. Que voulez-vous que j’en fasse ? Dieu, ça n’a pas d’actualité, mon cher monsieur Leroux. Trouvez-moi autre chose.

Mais précisément, si l’écrivain avait autre chose, c’est surtout de Dieu qu’il entendait entretenir ses contemporains. Cette passion métaphysique ne fut point vaine, cependant, et Henri Martin pouvait écrire de Pierre Leroux, dans la préface de son Histoire de France : « Rendons grâces à un homme dont le caractère est au niveau de sa haute intelligence : rare éloge dans notre siècle ! On ne saurait toucher à la philosophie de l’histoire sans rencontrer le profond sillon tracé par Pierre Leroux. Ses travaux sur les actes religieuses et philosophiques nous ont puissamment aidé à comprendre ces mouvements de l’esprit humain. Quelque jugement qu’on ait pu porter sur les théories émises plus tard par M. P. Leroux, la valeur de ses belles études d’histoire philosophique n’en reste pas moins incontestable. »

George Sand, Henri Heine, Viardot, Mazzini, tant d’autres, montraient pour Pierre Leroux un véritable enthousiasme et avaient avec lui de longues conversations dans sa mansarde. George Sand écrit à un de ses amis : « J’ai la certitude qu’un jour on lira Pierre Leroux comme le Contrat social, C’est le mot de M. de Lamartine. » Est-ce l’amour qui fait ainsi parler celle qui déclare elle-même n’être « qu’un pâle reflet de Pierre Leroux » ? Elle proteste en ces termes dans une lettre à un ami :

« L’amour de l’âme, je le veux bien, car de la crinière du philosophe, je n’ai jamais songé à toucher un cheveu et n’ai jamais eu plus de rapport avec elle qu’avec la barbe du Grand Turc. — Je vous dis cela pour que vous sentiez bien que c’est un acte de foi sérieux, le plus sérieux de ma vie, et non l’engoûment équivoque d’une petite dame pour son médecin ou son confesseur. » Béranger, ayant appris que George Sand promenait son philosophe dans les salons mondains, s’en montra mécontent.

« Il faut, écrit-il, que vous sachiez que notre métaphysicien s’est fait un entourage de femmes à la tête desquelles sont Mmes Sand et Marliani, et que c’est dans des salons dorés qu’il expose ses principes religieux et ses bottes crottées. Tout cet entourage lui porte à la tête, et je trouve que sa philosophie s’en ressent beaucoup. »

George Sand admirait, sans toujours bien les comprendre, les théories de Pierre Leroux. Elle l’avoue en ces termes, dans l’Histoire de ma vie : « Je ne sentis pas ma tête bien lucide quand il nous parla de la propriété des instru-