Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/502

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ce que la notion de la véritable égalité en amour, ou, ce qui est la même chose, du véritable amour, soit acquise, tout se réduit à une insurrection sans règle, à une dévastation brutale de la plus belle des facultés humaines, » et l’amour disparaît sous la recherche égoïste du plaisir d’un moment.

La liberté amoureuse en régime d’inégalité sociale, de salariat, de paupérisme, c’est la prostitution des pauvres aux riches. Aussi, Pierre Leroux donne à la femme la garantie du mariage, sous la loi de l’égalité en amour : « Voilà, s’écrie-t-il, la vérité qu’il faut dire aux hommes et aux femmes. Mais c’est fausser cette vérité et la transformer en erreur que de dire aux femmes : Vous êtes un sexe à part, un sexe en possession de l’amour. Émancipez-vous, c’est-à-dire usez et abusez de l’amour. La femme ainsi transformée en Vénus impudique perd à la fois sa dignité comme personne humaine, et sa dignité comme femme, c’est-à-dire comme être capable de former un couple humain sous la sainte loi de l’amour. »

Le socialisme de Pierre Leroux, très vague, comme nous avons vu, est une conséquence de sa philosophie. Dieu est notre créateur à tous, il n’a pu nous vouloir qu’égaux. S’il a mis en nous le sentiment de l’égalité, c’est pour nous porter à le réaliser. Il a mis en nous le triple attribut : sensation-sentiment-connaissance, et a confié à notre liberté le soin de réaliser le plan divin. Nous devons toujours progresser, dans cette vie d’abord, dans la vie extraterrestre ensuite. Le progrès n’est pas une marche vers le bonheur, mais vers un développement de tous les attributs humains. Pour que le bonheur se réalisât, dit Pierre Leroux, « il faudrait que le monde extérieur s’arrêtât et s’immobilisât. Mais alors, nous n’aurions plus de désirs, puisque nous n’aurions plus aucune raison pour modifier le monde, dont le repos nous satisferait et nous remplirait. Nous n’aurions plus, par conséquent, ni activité, ni personnalité. Ce serait donc le repos, l’inertie, la mort, pour nous comme pour le monde ».

Avec une telle philosophie, Pierre Leroux pouvait séduire les esprits d’élite, éveiller en eux un monde de pensées ; mais non donner à la masse souffrant dans la géhenne capitaliste une espérance précise et robuste qui la soulevât et l’en délivrât. Aussi allait-elle à Cabet, qui lui promettait l’immobilité du paradis communiste, et ignorait-elle Pierre Leroux. Elle ne devait revenir que plus tard à la notion du progrès et de l’effort continus, si puissamment affirmés par le philosophe idéaliste.

Ce fut également en 1843 que parut une petite brochure l’Union ouvrière, où se trouve répétée et précisée la pensée exprimée en 1832 par Jean Reynaud, reprise ensuite par Pierre Leroux, sur la nécessité d’une représentation spéciale des prolétaires. Ce sont là, et à ce titre elles sont importantes, les premières vibrations de l’appel que Marx et Engels lanceront en 1847 : Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !

L’auteur de cette brochure, Flora Tristan, avait passé quelques années en