Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/511

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Un prêtre nommé Garot, qui pour comble était aumônier de collège, c’est-à-dire d’un établissement de l’État, avait, sous l’inspiration des jésuites de Nancy, publié un ouvrage où l’enseignement de la philosophie déiste de Victor Cousin, conciliée avec « cette misérable anatomie de l’homme » connue sous le nom de philosophie écossaise, était dénoncé comme un nouveau paganisme, comme une « religion à la façon de Robespierre, la raison laissée à elle-même, sans frein, sans règle, si ce n’est la pensée, le caprice, l’intérêt de chaque individu ». Le hargneux prestolet vidait dans ce pamphlet tout le fiel des aumôniers du collège contre leurs concurrents les plus directs dans l’esprit des élèves ; les professeurs de philosophie.

Le pamphlet de l’abbé Garot en fit surgir une quantité d’autres du même ton, où la calomnie et l’outrage contre l’enseignement de l’État étaient à l’ordre du jour. M. Debidour, dans son Histoire des rapports de l’Église et de l’État, en a recueilli quelques-unes. Citons, d’après lui, un épais volume de l’abbé Desgarets où il était dit, entre autres gracieusetés, « que les infâmes ouvrages du marquis de Sade n’étaient que des églogues auprès de ce qui se passait dans l’Université ». D’après cet auteur, les conséquences de l’enseignement par l’État étaient « le suicide, le parricide, l’homicide, l’infanticide, le duel, le viol, le rapt, la séduction, l’inceste, l’adultère, toutes les plus monstrueuses impudicités, les vols, les spoliations, les dilapidations, les concussions, les impôts et les lois injustes, les faux témoignages, les faux serments et les calomnies, la violation de tout ce qu’on nomme loi, les insurrections, les tyrannies, les révolutions » et comme dans la fameuse et cocasse énumération pathologique de Molière : « la mort ».

Tant de fiel entre-t-il dans l’âme des dévots ?

« Selon l’Université, ajoutait le doux abbé Desgarets, il n’y a pas plus de vice, d’injustice, de mal à faire toutes ces choses qu’il n’y en a pour le feu de brûler, pour l’eau de submerger, pour le lion de rugir, pour les boucs et les chèvres de Théocrite de servir de modèles à leurs frères du Collège de France et de l’École normale et à leurs nombreux petits. » Edgar Quinet, avec sa prétention d’être « sorti d’un ver », n’était qu’un « impur blasphémateur ». Victor Cousin, si respectueux des puissances établies, était un détracteur du christianisme. L’évêque de Chartres recommanda le livre de l’abbé Desgarets « aux pères de famille comme un ouvrage vraiment classique ».

L’abbé Védrine, un curé limousin, descendit encore plus bas, s’il est possible, dans l’invective calomnieuse. Pour lui, l’Université enseignait « la philosophie de Voltaire, de Crébillon fils, la politique d’Hébert, l’histoire à la façon de Pigault-Lebrun ». Il traçait des collégiens enlevés par « la presse des matelots du carbonarisme » et jetés dans le repaire de pirates et d’ « écumeurs » qu’était l’Université, le tableau que voici :