Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/512

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« … Vieillards de trois ou quatre lustres, à la face hâve et plombée, aux regards ternes et lascifs : tristes victimes de la luxure qui dévore leur frêle organisme, éteint la pensée dans son foyer immortel, tarit le sang dans leur jeune cœur calciné par le feu des passions lubriques et putréfie l’air au fond de leur poitrine haletante sous une décrépitude précoce. » Il y avait du vrai dans cette description lugubre des victimes de l’internat laïque, mais le bon curé se gardait bien de montrer les victimes de l’internat congréganiste, où l’exemple et l’enseignement de l’immoralité et de la dépravation venaient trop souvent des maîtres eux-mêmes, poussés à des écarts monstrueux par l’absurde règle du célibat.

Les maîtres de l’enseignement universitaire, au regard de cet homme de Dieu, du Dieu de charité, étaient des « calomniateurs », des « hommes sans croyances », des « myrmidons de l’athéisme », une « impure vermine ». Avouant le but de l’Église, il demandait la « liberté », mais c’était « en attendant », car « il fallait que l’Université ou le catholicisme cédât la place ». Pour cela, il fallait que le clergé s’emparât de la presse, afin « d’abattre au pied de la croix les peuples et les rois ». La liberté des cultes, « n’en parlons pas, c’est une invention de Julien l’Apostat ».

Les laïques renchérissaient, s’il est possible, sur cet odieux langage. Leurs journaux, notamment l’Univers, où Veuillot venait d’entrer, tout fraîchement converti, juraient de faire sauter l’Université par les fenêtres. Montalembert avouait que sa revendication de liberté avait pour objet la suppression de la liberté et déclarait que l’éducation « est une partie pratique de la religion et comme un droit inhérent au sacerdoce ». Il ajoutait : « L’Église catholique dit aux hommes : Croyez, obéissez, ou passez-vous de moi. Elle n’est ni l’esclave, ni la cliente, ni l’auxiliaire de personne. Elle est reine, ou elle n’est pas. »

De rares évêques désapprouvaient cette campagne qui avait empli de tapage l’année 1843. Celui de Langres refusait de lier la cause de la religion à un parti. Quant à l’archevêque de Paris, tout en désavouant les diatribes des Védrine et des Desgarets, des Garot et des Carle, il dénigrait doucereusement l’Université et déclarait qu’elle était incapable d’enseigner la morale, puisque la morale ne peut reposer que sur la religion et que la religion ne peut être enseignée que par le prêtre. En somme, il eût fait grâce à l’Université si l’enseignement y avait été remis aux mains du clergé.

Lacordaire blâmait aussi ces excès de zèle, car il sentait tout ce que sa cause avait à perdre en affichant des exigences trop absolues. C’était le moment où il venait de fonder un premier couvent de dominicains, à Nancy, et où il en fondait deux autres ailleurs. Le gouvernement fermait les yeux et des ministres l’invitaient à dîner. Aussi suppliait-il ses amis de ne pas compromettre les avantages déjà obtenus.

« Quelle différence entre 1834 et 1844. écrivait-il alors à l’un d’eux. Il a suffi de dix ans pour changer toute la scène… Ce que nous avons gagné dans cette