Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/519

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jeunesse des écoles avait répondu en se groupant en nombre aux cours de Quinet et de Michelet. Les étudiants en médecine étaient les plus passionnés, à ces vibrantes leçons du Collège de France, où Quinet, en étudiant la littérature du passé, montrait aux esprits éblouis l’ascension continue de la pensée humaine vers la lumière, et la lutte désespérée de l’Église contre cet effort de libération. Michelet recherchait dans les archives, et les apportait vivantes et palpitantes à ses auditeurs enthousiasmés, les pages d’une histoire qui était le récit d’un combat ininterrompu entre la raison et le dogme, entre la liberté et l’autorité, entre le savoir et l’ignorance, entre le droit et l’arbitraire.

Cinquante-six ans après ces magnifiques manifestations de la pensée qu’étaient les cours de Quinet et Michelet, un « vieux docteur à barbe blanche » en gardait encore l’émotion frissonnante, qu’il exprimait ainsi : « On ne reverra jamais des jours pareils ! Nous étions à Clamart, nous marchions par bandes jusqu’à la montagne Sainte-Geneviève pour assister à ces leçons ; nous chantions tout le long du chemin, et une fois dans la salle, quelles acclamations ! Nous adorions ces deux hommes, nous les divinisions. »

Le 20 juin, une députation des écoles se rendait chez Edgar Quinet pour sceller « l’alliance entre la jeunesse française et les professeurs qui lui montraient le chemin de l’avenir ». Quinet, au nom de son ami absent, reçut les délégués. « Il suffit de vous entendre, leur dit-il, pour sentir qu’une vie nouvelle commence à circuler. La génération qui vous a devancés est lasse ; il faut que vous apportiez à votre tour un nouveau souffle dans le monde ; et puisse cette âme généreuse que vous me montrez ne pas rester seulement dans les livres, mais entrer avec vous en possession des affaires et des choses. C’est ce que nous nous engageons mutuellement ici à faire quand le temps viendra pour nous. »

Cet engagement, Quinet le tint. Mais la peur du socialisme devait ramener la plupart de ses auditeurs à l’Église et à la réaction, les laisser en tout cas effrayés, découragés, inertes, devant l’agression cléricale et césarienne au moment où ils entraient « en possession des affaires et des choses ». En se soulevant à la voix de Michelet et de Quinet, en n’écoutant que leur généreuse passion de vérité historique et de liberté civile, ils oubliaient un élément capital du problème de l’avenir : la situation d’un prolétariat misérable, dont le labeur assurait le loisir de leurs études.

Bien avant eux, Proudhon, penché sur le problème, avait aperçu l’Église travaillant « à endoctriner le peuple et à entraver les progrès du socialisme ». Au moment où ces jeunes gens se préparaient à prendre la direction sociale, Proudhon apercevait l’action du gouvernement favorable à l’entreprise cléricale contre le socialisme. « Mais, malgré tout, disait-il, le mouvement ne s’arrête point. L’attention du peuple se porte de plus en plus sur les questions sociales. »

Et comment Edgar Quinet eût-il appelé sur ces questions l’attention de ses