Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/520

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auditeurs, lui qui acceptait bien d’éventualité de l’émancipation finale des travailleurs, mais en même temps accusait le socialisme, en dépit des nobles protestations répétées des Pierre Leroux, des Considérant et des Proudhon, de se cantonner dans la satisfaction des besoins matériels et de marquer un terme à l’effort humain vers le mieux. « Il y en a qui croient que le jour du repos commencera pour le peuple au jour de l’émancipation, écrivait-il dans une brochure qui eut un assez grand retentissement lors des affaires de 1840 ; et moi, je crois, au contraire, que c’est alors que commencera le vrai travail, le dur labeur. »

Il avait, certes, raison de donner au peuple ce viril avertissement. Mais s’il avait fondé son enseignement d’émancipation de l’esprit sur le terrain solide de l’émancipation du prolétariat, s’il avait aperçu et dénoncé le rôle encore plus social que politique de l’Église, la jeunesse formée par son enseignement ne lui eût pas donné ce mécompte, et cette douleur, de préférer la servitude cléricale à l’émancipation des travailleurs.

Le cours de Michelet, où le jeune historien traçait en lignes saisissantes les luttes du peuple, et ses souffrances, à travers les siècles, avaient par ce côté un caractère social qui, cependant, ne trouvait pas grâce devant l’intraitable Proudhon. « J’ai suivi, écrivait-il, pendant un bon mois, Michelet, Rossi, Lenormant, Saint-Marc Girardin : je vous le répète, ils ont tous de l’esprit, mais ils semblent avoir tous le mot d’ordre pour vanter les bienfaits du régime constitutionnel et prêcher la centralisation la plus centralisante. Paris est tout, la tête et le cœur de la France ; ajoutons l’estomac. » Et il approuvait un « article très vif » du Journal des Écoles « contre le cours de M. Michelet, qui le méritait bien ». Ces messieurs, ajoutait-il, « font leurs cours par-dessous la jambe ». Il en exceptait toutefois les professeurs de sciences.

« Babil de salon, » les leçons de Michelet. Ici, vraiment, l’« expression exterminante » de Proudhon est injuste, profondément. Certainement, dans l’admirable campagne que menèrent les deux professeurs, l’honneur de l’initiative revint à Edgar Ouinet, qui entraînait son ami et le jetait dans l’action. Mais, tandis que Quinet avait les dons et l’extérieur avantageux de l’orateur, aussi était-ce toujours lui qui recevait les délégations des étudiants dans son appartement de la rue Montparnasse, Michelet, petit, chétif, mal portant, faisait son cours sur les notes minutieuses et abondantes que son labeur acharné avait réunies, non en orateur exercé à agir sur les foules, mais en professeur soucieux d’exposer le plus complètement possible son sujet aux auditeurs. Il suffisait cependant de ce sujet, plein de matières inflammables, pour allumer l’incendie révolutionnaire, et l’attention passionnée de l’auditoire, les ovations qu’il faisait en maître attestant que l’immense et sérieux et courageux travail de Michelet n’était pas un « babil de salon ».

En acceptant le rapport sur la loi de renseignement, Thiers faisait coup double. Il affirmait ainsi, après tant de défections, sa fidélité au libéralisme