Page:Jaurès - Histoire socialiste, VIII.djvu/549

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prendre l’extraordinaire complaisance dont la seconde république allait faire preuve envers le clergé ».

L’Église, en effet, semble parfois adhérer à la liberté et à la nationalité ; mais c’est sa liberté à elle qui est le but, et pour que la nationalité soit sous la dépendance des prêtres. C’est ainsi qu’on la vit, à la même époque, seconder de tous ses efforts l’agitation irlandaise contre l’hégémonie anglaise et la domination des landlords. L’Irlande était devenue la « grande difficulté » du gouvernement de Robert Peel. Nommé lord-maire de Dublin par le précédent ministère, O’Connell avait été un instant enchaîné dans son effort de propagande. Mais à présent il était libre, et sa puissante voix réveillait l’Irlande, la dressait en face de l’Angleterre pour demander la séparation des deux pays.

Bien qu’âgé de soixante-dix ans, 0’Connell se montrait partout à la fois, multipliant les meetings, ameutant les catholiques irlandais contre les privilèges de l’Église anglicane, les fermiers et tenanciers contre les propriétaires, les asservis politiques contre la nation qui s’arrogeait le pouvoir. Les libéraux l’ayant abandonné, il avait tenté, nous l’avons vu, une alliance avec les chartistes. Mais son parti avait refusé de le suivre. Le cléricalisme irlandais ne pouvait accepter le concours de ces révolutionnaires parmi lesquels les socialistes disciples de Robert Owen avouaient, proclamaient leur espérance d’égalité sociale. L’Église, puissance absolutiste par définition, peut bien employer les moyens de la démagogie, mais non se résoudre à favoriser la démocratie et l’émancipation de la classe ouvrière.

Le catholicisme montrait d’ailleurs ses véritables sentiments, et ses véritables tendances dans le conflit qui éclatait en Suisse, où le canton d’Argovie, acquis aux radicaux par les élections de 1841, avait supprimé les congrégations. À cette mesure, les cantons catholiques de Lucerne, Schwitz, Unterwald, Glaris, Zug, Fribourg et le Valais, avaient répondu par des protestations. Le canton de Lucerne appela les moines et les jésuites expulsés par Argovie et les installa sur son territoire. Les radicaux, qui avaient formé des corps francs, pénétrèrent dans le canton de Lucerne au nombre de huit mille hommes. Mais les cantons catholiques s’étaient armés de leur côté ; leur ligue, formée sous le nom de Sunderbund dès 1845, était riche et puissante ; les protestants radicaux furent repoussés. C’était la guerre civile.

Heureusement, les élections donnèrent sur ces entrefaites la majorité aux radicaux à Berne et à Genève. La diète allait pouvoir prononcer la dissolution du Sunderbund, qui constituait un État dans l’État. Cette solution déconcerta et arrêta les manœuvres de Metternich et de Guizot en faveur des catholiques. Les deux ministres invoquaient les traités de 1815, qui avaient donné à la Suisse sa constitution fédérative si favorable aux cantons conservateurs. Mais à présent que l’immense majorité du peuple helvétique se prononçait pour la revision de cette constitution et que l’Angleterre affirmait hautement sa sympathie pour les radicaux, la France ni l’Autriche ne pouvaient donner suite à leur projet d’une